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Les romans de Melwija
13 novembre 2009

ENTRE LAC ET OCEAN (N°6/14)

Rappel des faits antérieurs : Esther et Suzanne obtiennent de Grégoire d'acheter un terrain à Hossegor pour y construire une villa.



   Le jour du rendez-vous, Esther, Suzanne et Marc se présentèrent au cabinet de Monsieur Lagrange. Ils furent reçus par Thibaut qui avait persuadé son patron de lui laisser cette affaire. Il ne voulait pas rater une seule occasion de rencontrer Esther. Il vit tout de suite que Marc Bellot n'était là qu'en tant que chaperon. Ce n'était pas lui qui payait, ni qui choisissait l'emplacement du terrain, ni le type de maison. Thibaut prit alors le parti de ne s'adresser qu'aux femmes. En fait, il ne parlait qu'à Suzanne, ce qui lui évitait de croiser le regard d'Esther. Il avait trop de mal à se concentrer sur la présentation de son cabinet et trop envie de se jeter dans les bras de la jeune femme.

   Il montra quelques plans de villas en cours de réalisation, démontra le sérieux de l'entreprise, mit en avant le talent de l'équipe de collaborateurs. Mais, avant de faire quelque choix que ce soit, il était indispensable qu'ils aillent sur place voir à quoi ressemblait vraiment l'endroit. Le train s'arrêtait à Hossegor depuis peu, il était donc facile de s'y rendre. C'est ce qu'ils firent le mois suivant, c'est-à-dire début juillet 1923.

   Depuis le début du siècle, la région était fréquentée pour y passer quelques jours de détente ; quelques hôtels s'étaient montés au bord du lac. Les futurs propriétaires s'installèrent à l'Hôtel de la Côte d'Argent, chez Julien Navère, qui avait été passeur jusqu'en 1913, quand on avait construit un pont de bois, pour traverser le canal reliant le lac à la mer. Augustine, sa femme, y faisait une merveilleuse cuisine régionale à base de fruits de mer. Les parcs à huîtres qui emplissaient le lac, permettaient de faire une vraie cure de ces coquillages. L'hôtel était rustique et rudimentaire, mais les autres hôtels n'étaient pas beaucoup mieux.

   En effet, comme disait justement Grégoire, il n'y avait rien. C'était le bout du monde, sauvage et peu peuplé, la campagne, les arbres, le lac dont les couleurs changeantes au cours de la journée, étaient toujours admirables. Les activités des habitants n'étaient nullement tournées vers la mer. Il s'agissait essentiellement d'agriculture, d'élevage et d'exploitation de la forêt.

   Quand ils arrivèrent, accompagnés de Thibaut Lamécourt qui connaissait le coin comme sa poche, ils ne virent pas l'océan. Il l'entendirent. Du bord du lac, on ne voyait que les pins, on ne pouvait imaginer que l'on était au bord de la mer, invisible et lointaine. Mais le bruit que faisaient les vagues était impressionnant, voire inquiétant. Ils n'imaginaient pas à quoi cela pouvait bien ressembler.

   Thibaut promit de les y emmener dès le lendemain. Le temps de ce début d'été était clément, le vent modéré et la chaleur encore supportable. Dès le matin, après un petit déjeuner copieux, Thibaut emprunta la voiture à cheval de Julien Navère pour emmener ses clients voir enfin l'océan. Ils longèrent le lac par la route qui reliait Hossegor à Soorts et, au carrefour, prirent à droite vers le pont de bois enjambant le canal. Ils entrèrent alors dans la forêt de pins qui recouvrait quasiment toute la bande de terre située entre le lac et l'océan. Arrivés au bout, ils ne virent pas encore la mer, bien que le bruit qu'elle faisait soit presque assourdissant. Une grande dune ombragée la surplombait, la cachant à la vue de ceux qui ne l'avaient pas encore escaladée.

   Ils laissèrent la voiture et gravirent la dune à pied, dans le sable et les aiguilles de pins. Une fois au sommet, chacun fut pétrifié par la beauté de ce paysage sauvage et extraordinaire. La plage de sable fin s'étendait de chaque côté à perte de vue. En face d'eux, l'océan venait briser des rouleaux de quatre à cinq mètres de hauteur sur le sable, dans un vacarme effrayant. Le ciel bleu se reflétait dans la mer qui prenait, par endroits, des couleurs turquoise. Le soleil étincelant délimitait sur la mer un grand espace miroitant, qui renvoyait dans toutes les directions des rayons aveuglants ; il s'adoucissait en traversant les pins, dessinant sur le sol de multiples ombres chinoises.

   Pendant un long moment, le souffle coupé, Suzanne, Esther et Marc Bellot se tinrent immobiles et silencieux, contemplant ce spectacle unique qu'ils n'avaient encore jamais vu. Thibaut, qui ne quittait pas Esther des yeux, n'osa rompre ce silence. Il s'approcha d'elle doucement et glissa la main sous son bras droit. Elle ne réagit pas tout de suite, puis, imperceptiblement, elle approcha sa main gauche et prit la sienne. Puis enfin, elle tourna son visage vers celui de Thibaut. Ils se regardèrent longuement dans les yeux, très près l'un de l'autre et serrèrent leurs mains en emmêlant leurs doigts.

   Au bout d'un long moment, chacun reprit ses esprits.

¾    Mon Dieu ! Que c'est beau ! s'exclama enfin Suzanne, sous le charme.

¾    Oui, c'est vraiment fabuleux, renchérit Marc Bellot. J'avais déjà vu la mer, mais jamais aussi violente. C'est magnifique.

¾    Je crois que nous allons nous plaire ici, décréta Suzanne en regardant du côté de Thibaut.

   Elle vit alors le spectacle des deux jeunes gens l'un contre l'autre. Se reprenant d'une seconde d'étonnement, elle leur sourit et demanda à Thibaut de leur faire voir les parcelles à vendre. Le jeune homme se sentit gêné d'avoir été surpris et se demanda la réaction que cela allait provoquer. Il fut soudain inquiet que son geste ne compromette toute l'affaire.

¾    Voulez-vous de ce côté-ci du pont ou de l'autre ? demanda-t-il, empressé, reprenant son ton professionnel, après avoir précipitamment lâché le bras d'Esther.

¾    De ce côté-ci, le plus près possible de cette mer terrible et merveilleuse, décida la future propriétaire. Tu n'es pas de mon avis, ma chérie ? demanda-t-elle en s'adressant à sa fille.

¾    Mais si, bien sûr, Maman, dit-elle sans avoir d'idée précise, le cœur chaviré par le geste de Thibaut.

¾    Bien, alors, allons voir l'endroit idéal, ordonna Suzanne en redescendant la dune.

   Le petit groupe remonta en voiture et Thibaut les amena rapidement vers un coin de la forêt où des balises rouges et jaunes avaient été plantées entre les arbres. Elles délimitaient de grands terrains prêts à être vendus et construits. Il n'y avait encore ni eau courante ni électricité, mais l'architecte promit que tout serait installé en même temps que se ferait la construction de la maison. Des chemins de sable, préfigurant les rues, avaient été tracés et débarrassés des arbres. Suzanne et Esther, s'arrêtèrent devant une parcelle portant le numéro un, d'un lotissement qui en comportait dix, à peu près à égale distance de la mer et du lac. À cet endroit, plusieurs chemins formaient comme un carrefour, qui deviendrait une placette. Ce lot plut aux femmes qui se l'approprièrent immédiatement.

   Maintenant que le choix de l'emplacement était fait, il fallait acheter officiellement le terrain. Thibaut Lamécourt emmena alors le petit groupe chez Alfred Eluère, président de la toute nouvelle Société Immobilière Artistique d'Hossegor, propriétaire des terrains depuis le début de l'opération. C'était avec lui qu'ils devraient discuter le prix. En son absence, ils furent reçus par Frédéric Lesage, son adjoint. Marc Bellot entra alors en scène.

   Le prix proposé à Marc Bellot était celui des promoteurs. Il ne se priva pas de marchander et obtint une réduction substantielle. Il ne s'en tirait pas trop mal. Le montant de cette affaire pouvait laisser entrevoir une assez belle réalisation. Même en comptant tout l'aménagement intérieur, et après un rapide calcul, Marc conclut que le budget alloué par Grégoire était suffisant. Les femmes étaient heureuses.

   L'architecte ayant à faire à Paris, fut obligé, à son grand regret, d'abandonner ses si précieux clients et repartit dès le lendemain matin. Esther l'accompagna jusqu'à la gare et, sur le quai, en attendant le train, ils se blottirent l'un contre l'autre et, enfin, se donnèrent un long et langoureux baiser. Ils ne se séparèrent qu'à l'arrivée du train et ne se quittèrent pas des yeux jusqu'à ce qu'ils ne puissent plus s'apercevoir. Esther rentra à l'hôtel, le cœur battant.

  Le trio décida de rester encore quelques jours pour visiter la région. Ils virent le petit port de Capbreton, juste au bout du canal ; puis ils allèrent à Bayonne et poussèrent même jusqu'à Biarritz. Les femmes se sentaient bien dans ce pays où tout leur était inconnu et surprenant. Elles furent charmées par les paysages verts et accidentés, la campagne bucolique, la nourriture exquise et inhabituelle, les costumes des villageois et l'élégance des plages de Biarritz. Le petit groupe ne se pressa pas de rentrer.

   Quand ils revinrent enfin avenue Montaigne, les femmes ne tarirent pas d'éloges sur leur séjour. Grégoire, qui n'avait aucune idée de l'endroit, les crut sur parole et se satisfit de leur enthousiasme.

¾    Bon, vous êtes heureuses ? Alors tant mieux. Je ne pense pas que j'aurai le temps d'y aller souvent, alors autant que cela vous plaise à vous, n'est-ce pas ? déclara-t-il.

¾    Oh ! Mon ami, j'espère que vous viendrez tout de même. Quand vous aurez vu ce pays, vous ne voudrez plus le quitter, je vous assure, répliqua Suzanne.

¾    Pour le moment, nous n'y sommes pas. Sait-on seulement quand cette maison sera construite ?

¾    Il faut d'abord que les plans soient faits et approuvés par nous, dit Esther qui s'était intéressée de près à l'affaire.

¾    Bon, nous verrons cela l'année prochaine, alors.

¾    Oui, je pense que c'est à peu près le temps qu'il faut, dit Suzanne qui en avait vaguement discuté avec Thibaut.

¾    Et ce Thibaut… comment déjà ? Lamécourt, c'est ça ? Qu'en pensez-vous ? demanda Grégoire.

¾    Il est charmant, déclara Suzanne à la place de sa fille, qui n'osait pas dire ce qu'elle en pensait, de peur de se trahir.

¾    Je ne vous demande pas s'il est charmant, ce qui m'est bien égal. Je vous demande s'il est compétent et s'il va vous faire une maison qui tiendra debout, dit Grégoire d'un ton cassant, toujours terre-à-terre.

¾    Mais voyons, mon ami, je n'en sais rien. Il semble connaître son affaire, c'est évident, maintenant, je ne puis vous en dire plus. Son patron, Monsieur Lagrange, semble être expérimenté et Monsieur Lamécourt nous a montré les premières maisons qu'ils ont construites, elles sont vraiment très jolies et très originales, vous pouvez me croire.

¾    Bon, bon, tant mieux. Il n'y a plus qu'à voir ce qu'ils vont vous proposer, conclut Grégoire d'un air un peu bougon.

   Fin-juillet, Frédéric Lesage envoya un courrier avenue Montaigne pour faire part du rendez-vous fixé chez le notaire de St-Vincent de Tyrosse, pour la signature définitive de l'acquisition du terrain. L'argent alloué par Grégoire ayant été versé sur le compte personnel de Suzanne, il lui suffit de faire une lettre lui donnant tout pouvoir pour signer en ses lieu et place, pour qu'elle puisse régler cette affaire toute seule. Toujours accompagnée de son cousin Marc, elle se rendit chez ce notaire et tous les documents furent signés rapidement. Sachant qu'elle ne verrait pas Thibaut Lamécourt, Esther laissa sa mère s'y rendre seule. Marc Bellot, qui avait toujours été un peu amoureux de sa cousine, fut ravi de ce petit tête-à-tête familial et affectueux.

   Thibaut Lamécourt n'avait pas attendu pour commencer à étudier des plans pour cette maison. Début août, il fixa un rendez-vous à Suzanne pour une première présentation. De nouveau, elle fit appel à Marc Bellot. Cette fois, Esther était prête à accompagner sa mère au cabinet d'architecture.

   Thibaut les accueillit avec politesse et professionnalisme. Les deux amoureux firent semblant de rien et se comportèrent de manière neutre, tels client et fournisseur.

¾    Alors voilà le projet que j'ai conçu pour vous et qu'a approuvé Monsieur Lagrange, dit Thibaut en déroulant les plans et les dessins des façades.

¾    Mais c'est magnifique ! s'exclama Suzanne.

¾    Alors voilà, je vous montre d'abord les plans intérieurs, commença Thibaut. Pour vos domestiques, j'ai prévu leur logement en sous-sol, avec des impostes pour l'air et la lumière, ce qui surélève le rez-de-chaussée. Nous avons donc ici, deux grandes chambres, une à chaque bout de la maison. Au milieu, une cave et un débarras, ainsi que des toilettes et des lavabos. On descend au sous-sol par un escalier extérieur situé à l'arrière de la maison, dont les plus grandes ouvertures se feront vers la mer.

¾    Bon, très bien, acquiesçaient les femmes qui ne comprenaient pas très bien ce qui leur était présenté, ne sachant lire un plan d'architecte.

¾    Alors, maintenant, voici le plan du rez-de-chaussée. Nous entrons pas la façade nord, les fenêtres étant tournées vers l'ouest. Dans l'entrée, il y aura l'escalier pour monter au premier…

¾    Pas trop d'étages, supplia Suzanne.

¾    Non, non, c'est le seul, rassurez-vous, continua Thibaut. À droite, nous avons la cuisine et en face, une grande salle à manger qui occupe tout le milieu de la maison avec une grande avancée. Dans le prolongement, séparé par une baie, nous avons un salon, pourvu d'une cheminée. Toutes ces pièces donneront, par de grandes baies vitrées, sur une terrasse avec un escalier à chaque coin, permettant de rejoindre le jardin.

¾    Cela semble vraiment très bien, approuva la nouvelle propriétaire, heureuse de ces explications.

¾    Voici à présent l'étage. Le palier est constitué d'une sorte de balcon autour de l'entrée, desservant la salle de bains et les toilettes, puis un couloir donnant accès à quatre chambres, dont deux grandes, au milieu, pourvues d'un balcon donnant sur la mer. À cette hauteur, vous devriez la voir par-dessus la dune, à travers les pins. Vous pourrez bénéficier, depuis ce balcon, des plus beaux couchers de soleil.

¾    Tout cela est parfait, mais l'extérieur me semble aussi très réussi, remarqua Suzanne en jetant un coup d'œil sur les autres planches.

¾    Alors, l'extérieur sera dans le style basco-landais créé par Monsieur Godebarge et auquel nous souscrivons, commença Thibaut avec fierté. Le rez-de-chaussée sera en crépi blanc et l'étage avec colombages bleus, emplis de petites tomettes rouge-orangé, placées en chevrons. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, nous avons prévu d'intégrer au fronton, un bas-relief en pierre que nous ferons sculpter par Monsieur Lucien Danglade, avec qui nous travaillons régulièrement sur ces projets. Vous verrez, il fait de très belles sculptures, très modernes et qui s'accordent très bien avec ce nouveau style. Comme vous pouvez le remarquer, l'avancée du rez-de-chaussée, est rattrapée par deux encorbellements, unissant la façade de l'étage. Cela lui donne un nouveau rythme.

¾    Mais c'est très intéressant, s'exclama Suzanne. Qu'en pensez-vous, tous les deux ?

¾    Si cela te plaît, dit Marc Bellot à sa cousine, c'est toi la plus intéressée. Pour ma part, je trouve ça plutôt réussi, quoiqu'un peu moderne pour mon goût.

¾    Et toi, Esther, dis quelque chose, supplia Suzanne.

¾    Mais, Maman, je trouve ça merveilleux, tout simplement merveilleux, dit-elle comme si elle était sur un nuage, plus intéressée par le discours de Thibaut dont elle buvait littéralement les paroles, que par les plans de la maison.

¾    Mon cher, commença Suzanne en s'adressant à l'architecte, nous allons vous donner notre accord pour la réalisation d'un tel chef-d'œuvre. Vous nous donnez la marche à suivre et vous n'aurez plus qu'à œuvrer.

¾    Eh bien ! Madame, vous n'avez qu'à signer là, en bas à droite des plans, en précisant "bon pour accord". Ensuite, vous serez aimable de nous donner vingt pour cent de la somme prévue et nous pourrons commencer les travaux, dit Thibaut, l'air satisfait. Si vous y avez déjà réfléchi, il serait bon de me communiquer le nom que vous voulez donner à cette villa, précisa encore Thibaut, ainsi elle sera identifiée. Y avez-vous songé ?

¾    Je dois avouer que non, mais… je ne sais pas… il me semble que… voyons… réfléchit Suzanne à haute voix.

¾    Les Pins, nous devrions l'appeler Les Pins, dit soudain Esther. Cela ne vous semble pas évident ?

¾    Mais oui, bien sûr, Les Pins, approuva Suzanne, c'est très bien.

¾    Vous ne pouviez pas trouver mieux, acquiesça Thibaut avec un peu d'obséquiosité. Je le note immédiatement.

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