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Les romans de Melwija
10 octobre 2009

LES AMBITIEUX (Parution 9/14)

Rappel des faits antérieurs : Mario Spanelli demande le divorce à sa femme Brigitte. Elle refuse et veut se rendre compte par elle-même où en est son mari avec Valéria Rodrigo. Elle se rend de Quimper à Vélizy et finit par agresser Valéria en la laissant évanouie sur le parking de la société Tech Log. Les policiers versaillais retrouvent sa trace et la font arrêter par la gendarmerie de Quimper. Elle est en garde à vue.



Vers huit heures du matin, on lui apporte un café et on la fait sortir. On lui remet les menottes. Elle s’y soumet de mauvaise grâce. Elle a beau dire aux Gendarmes qu’elle ne va pas se sauver, ils appliquent la procédure.

Ils l’informent qu’elle va être transférée en fourgon cellulaire à Versailles, où elle sera jugée en comparution immédiate. Le Tribunal de Quimper n’est pas habilité à juger un fait qui s’est passé dans les Yvelines, lui dit-on.

Elle est anéantie. Elle va devoir voyager six ou sept heures dans un fourgon, sans doute entravée, avec un gendarme auprès d’elle, se traînant sur l’autoroute, dans l’état où elle est de crasse et de fatigue. Elle se dit qu’elle ne le supportera pas, mais elle n’a pas le choix.

Arrivée à Versailles vers seize heures, elle est tout de suite conduite, sous bonne escorte, dans une des salles d’audience du Tribunal. Les Gendarmes ont prévenu le commissaire de leur arrivée qui, lui, a prévenu toutes les personnes qui pouvaient être intéressés par cette affaire. Il est là, avec Mario, les Pasquier qui ont laissé Antoine à leur voisine et ont tenu à venir voir leur fille, Christophe et Clément, qui, à plus de quatorze ans, est apte à comprendre la situation de sa mère et veut la voir.

Ils n’en reviennent pas de la voir comme ça, grossie, sale, pas coiffée, entre deux policiers, les menottes aux mains, sur le banc des accusés de la petite salle de Tribunal. Les Pasquier, particulièrement, sont effondrés, incapables de parler, ni même de pleurer. Ils sont pétrifiés, muets, ne quittant pas leur fille des yeux.

Mario, à côté d’eux pour les soutenir, est plus décontracté, mais il commence à ressentir une sorte de haine pour elle. Il n’a aucune pitié, aucun sentiment aimable à son égard. Il est juste content qu’elle ait été arrêtée. Elle n’a que ce qu’elle mérite. Il lui en veut à mort et n’est pas près de lui pardonner. Tout ce qu’il attend, c’est de pouvoir engager une procédure de divorce, le plus rapidement possible.

Valéria est assise à côté de lui. Elle est là en tant que victime, bien entendu. Elle a encore des bleus sur la joue droite et des pansements sur la joue gauche, qu’elle tente de dissimuler avec ses cheveux laissés libres.

Christophe et Clément Leroy sont assis juste derrière eux. Aline est là, également en tant que témoin.

Valéria est appelée à la barre, pour témoigner et dire ce qu’elle a à dire. Après une heure d’exposé des faits, de témoignages et de délibération, Brigitte écope de douze mois de prison avec sursis et interdiction de remettre les pieds dans la région parisienne pendant six mois. Elle repart entre les policiers, mais libre. Ils la font reconduire au train pour Quimper.

Arrivée à destination, Brigitte se précipite chez son amie. Il est neuf heures du soir. Maryvonne l’attend. Elle est très ennuyée de l’intrusion des Gendarmes dans son magasin l’après-midi de la veille. Ce n’est pas bon pour le commerce.

¾    Bon, ils t’ont quand même relâchée, constate Maryvonne sans joie.

¾    Oui, c’est fini. Il faut absolument que je prenne une douche.

¾    Avant, j’ai à te parler.

¾    Oh ! Non, j’ai trop besoin de me laver.

¾    Non, tu vas m’écouter d’abord.

¾    Bon, qu’est-ce qu’il y a, dit Brigitte avec lassitude, en s’asseyant à la table de salle à manger.

¾    Comment ça s’est passé finalement ? commence par demander Maryvonne en s’asseyant en face d’elle.

¾    Ils m’ont gardée une nuit en cellule ici, et puis ils m’ont ramenée à Versailles pour être jugée. J’ai eu douze mois de sursis et je ne peux plus aller là-bas pendant six mois.

¾    Mais qu’est-ce qui t’a pris ? Tu es devenue folle ? Tu regrettes au moins ?

¾    Non, pas vraiment. Elle a eu ce qu’elle méritait. C’est vrai que je n’aurais pas dû y aller si fort. Mais quand je l’ai vue comme ça, cette belle fille, si sûre d’elle, ça m’a mise vraiment en colère. Et puis, juste avant, je les avais vus arriver ensemble dans la même voiture et s’embrasser avant de rentrer au bureau. Ça m’a mise hors de moi. Mario avait l'air d'être tellement amoureux !

¾    Mais tu as quitté ton mari, c’est normal qu’il ait une autre femme. Tu sais comment sont les hommes, affirme Maryvonne.

¾    Oui, mais quand même. Ça m’a énervée. Après tout, je suis encore sa femme.

¾    Tu ne peux pas tout avoir non plus. Sois raisonnable. De toute façon, je suppose que vous allez divorcer.

¾    Je crois que maintenant c’est inévitable. C’est surtout ça que je regrette dans ce que j’ai fait. C’est que maintenant, je ne pourrai plus le reconquérir. Mais quand je l’ai vu arriver, beau, dynamique, sportif, mon cœur m’a sauté à la gorge. Je n’y peux rien, je crois que je l’aime encore, avoue Brigitte d’un air triste.

¾    Oui, mais maintenant que tu as tout gâché, il faut que tu tournes la page.

¾    Oui, je sais, mais c’est difficile.

¾    Et tes enfants ? Tu les as vus ?

¾    Je n’ai pas vu Antoine, mais j’ai remarqué Clément à côté de Christophe en entrant dans la salle d’audience. Il y a quelque temps que je ne l’aie pas vu, il a grandi et changé, c’est à peine si je l’ai reconnu. Il ressemble à son père comme deux gouttes d'eau.

¾    Ce serait bien que tu ne les laisses pas tomber tout de même.

¾    Oui, je sais. Quand ça ira mieux, je tâcherai de les faire venir, au moins Clément, puisque je ne peux plus aller les voir chez eux.

¾    Bon, justement, de mon côté, il y a du nouveau.

¾    Tu ne veux plus de moi, c’est ça.

¾    Non, c’est pas ça, dit Maryvonne d’un air gêné, mais on ne peut plus continuer comme ça. Je reste ton amie, bien sûr, mais je pense qu’à présent, tu pourrais trouver un métier plus dans tes cordes. Et puis, justement hier matin, l’agent immobilier s’est manifesté. Il m’a proposé un joli petit deux pièces que je suis allée visiter pendant l’heure du déjeuner et pour lequel j’ai pris une option jusqu’à demain au plus tard.

¾    C’est où ?

¾    Juste derrière, rue St-François, au coin de l’Allée de la Glacière. C’est très mignon, au dernier étage, sous les toits, avec une petite terrasse. Ça devrait te plaire. Ce n’est pas trop cher parce qu’il y a quelques travaux de peinture à faire. C’est deux mille francs le loyer tout compris.

¾    Bon, je te remercie, j’irai le voir demain. Tu as versé quelque chose ?

¾    Oui, mille francs, comme acompte.

¾    Bon, où est mon chéquier, je te les rends tout de suite.

¾    Ça peut attendre, ce n’est pas le problème.

¾    Non ? Alors c’est quoi le problème ?

¾    Il faut que tu trouves du travail.

¾    Tu ne veux plus que je travaille au magasin ?

¾    Tu sais très bien que ce n’est pas un métier pour toi. Ça ne peut pas satisfaire tes ambitions. Il faut que tu trouves un poste d’assistante ou au moins de secrétaire quelque part, ça doit bien se trouver.

¾    Oh ! Tu sais, le travail ne me fait pas peur. J’ai bien commencé comme simple standardiste à Tech Log, je n’en suis pas morte.

¾    Non, mais au moins, dans une boîte comme ça, tu avais un avenir, une possibilité de progression professionnelle. Dans mon magasin, il n’y a que ma place à prendre et celle-là, ma cocotte, tu peux toujours t’accrocher, dit Maryvonne en souriant.

¾    Je ne la demande pas non plus. Mais peut-être que je pourrais faire comme toi et prendre un magasin en gérance, ailleurs.

¾    Il faut de l’argent pour être franchisé. Il faut avoir un magasin ou sa valeur en monnaie.

¾    Ah, dit Brigitte, déçue. Bon alors, il faut que je fasse comme tu dis. Mais ça va peut-être être long.

¾    Oui, je sais, je ne te vire pas tout de suite, plaisante un peu Maryvonne pour détendre l’atmosphère.

¾    Bon, d’accord, à partir de demain, je cherche un autre travail. Je te remercie pour tout. Je vais enfin prendre une bonne douche, manger un morceau et me coucher dans de bons draps, dit Brigitte avec délectation.

À la sortie du Tribunal, Christophe est venu dire bonjour aux Pasquier avec Clément, qui s’est jeté au cou de ses grands-parents. Mario a tout de suite compris qui ils étaient. Il n’ose pas se présenter et reste en retrait. Mais Christophe l’a remarqué et vient vers lui la main tendue. Ils se serrent la main.

¾    Je suppose que vous êtes Mario Spanelli ?

¾    Oui, bonjour.

¾    Christophe Leroy, se présente-t-il.

¾    J’avais compris.

¾    Vous avez accompagné mes… nos beaux-parents, c’est gentil à vous. Les pauvres gens, ils se sont fait des cheveux blancs, dit Christophe pendant que les Pasquier parlent à Clément de leur côté. Je sais que vous vous occupez bien d’eux. Moi aussi, je fais ce que je peux. Le petit Antoine,  c’est votre fils ? C’est ça ?

¾    Oui, vous le connaissez ? demande Mario, un peu gêné.

¾    Oui, je le vois chez les Pasquier chaque fois que j’amène Clément. Je crois que les deux frères s’entendent bien. Mais détendez-vous, elle n’a que du sursis, ça va aller, dit Christophe lui-même très détendu et souriant, en frappant amicalement le bras de Mario, un peu coincé.

¾    Oui, oui, bien sûr, dit-il machinalement.

¾    Mon attitude vous choque ? demande soudain Christophe.

¾    Quelle attitude ?

¾    Là, maintenant, avec vous.

¾    Euh… non, mais je suis un peu surpris, c’est tout.

¾    Oh ! Vous savez, j’ai mis du temps à m’en remettre, mais maintenant j’en suis sorti. Et puis quand je vois ce qu’elle est capable de faire, je vous avouerais que je suis heureux de ne plus être concerné de près par les agissements de cette femme dangereuse.

¾    Oui, vous avez raison, dit tristement Mario qui pense à ce qui l’attend dans les mois qui viennent.

¾    Enfin, je suppose que vous avez des compensations avec la victime, dit Christophe avec un clin d’œil.

¾    Oui… écoutez, ce n’est pas le sujet du jour, dit Mario un peu énervé et trouvant cette parole déplacée, et je vous serais reconnaissant de ne pas insister sur ce point, surtout auprès de nos beaux-parents, comme vous dites. Ils n’étaient pas au courant.

Mario raccompagne les Pasquier chez eux. Ces braves gens pensent que le ciel leur est tombé sur la tête. Pierre essaye de rester digne et de retenir ses larmes. Simone ne peut pas et s’effondre dans la voiture. Ils n’en peuvent plus. Brigitte n’a même pas fait attention à eux dans la salle d’audience. Ils ont cherché son regard pendant une heure et elle regardait ses pieds ou la Cour, mais ne tournait jamais la tête vers la salle. Ils ne l’avaient jamais vue dans cet état, elle était méconnaissable. Ils sont bouleversés.

En passant devant une pizzeria, Mario s’arrête pour acheter une pizza pour le dîner. Il veut éviter à Simone de faire un repas. En arrivant chez eux, il file chez le voisin rechercher son fils et l’embrasse tendrement. Antoine est content de voir son père. Il a deux ans et demi maintenant, il commence à dire quelques mots à peu près compréhensibles, mais il n’a pas l’habitude et il a besoin de Simone pour traduire le reste de sa conversation.

Mario est heureux que ça se passe bien avec ses beaux-parents. Il les aime vraiment beaucoup et il ressent une grande compassion devant leur désarroi. Il ne veut pas qu’ils puissent lui reprocher quoi que ce soit. Mais maintenant, sa liaison avec Valéria a été dénoncée au Tribunal, ils ont entendu qu’elle était sa maîtresse depuis deux ans. Ils ont regardé Mario avec désapprobation et étonnement en entendant la Cour énoncer les détails de la situation. Mario a regardé ses chaussures, mais il sait qu’il devra s’expliquer.

¾    Bon, je crois que maintenant, il faut que je vous parle de ma situation, commence Mario ayant pris son courage à deux mains, pendant le repas frugal qu’il partage avec les Pasquier.

¾    Vous n’avez rien à expliquer, c’est très clair, répond gravement Pierre. Et puis c’est votre vie, ça ne nous regarde pas. Du moment qu'Antoine n'en pâtit pas, c'est l'essentiel.

¾    Si, ça vous regarde.

¾    Alors pourquoi vous ne nous en avez jamais parlé ?

¾    Parce que je ne savais pas comment vous alliez le prendre.

¾    Je ne sais pas comment on l'aurait pris, mais en tout cas, on aurait mieux compris l’attitude de Brigitte.

¾    Ce n’est pas pour ça qu’elle est partie, c’est surtout parce qu’elle n’a pas supporté de rester à la maison, et là aussi, je plaide coupable. Je me suis buté, je le reconnais, j’ai eu tort.

¾    Cet aveu vous honore, Mario, dit Simone, émergeant un peu de son chagrin.

¾    Oui, mais vous avez quand même trompé Brigitte, accuse Pierre.

¾    Mais personne ne vous a dit qu’elle dormait en jogging et qu’elle ne voulait plus de moi. Je ne pouvais plus la toucher. Alors, quand même, je suis un homme.

¾    Oui, bien sûr, je comprends, dit Pierre en regardant son assiette.

¾    Vous savez, j’ai beaucoup aimé Brigitte et quand elle a été enceinte, j’étais le plus heureux des hommes. Je n’avais jamais eu d’enfant, enfin… à moi, rectifie-t-il en pensant à Véronique, alors j’étais ravi et je l’ai beaucoup aimée pour ça. Le malheur, c’est qu’elle n’en voulait pas et elle, elle n’était pas ravie du tout. C’est là que nos problèmes ont commencé. Et puis, j’ai voulu qu’elle l’élève elle-même et ça a été la catastrophe. Voilà mon principal tort.

¾    Oui, je comprends, répète Pierre en le regardant. De toute façon, ce sont vos problèmes. Pour nous, maintenant, l’essentiel c’est que vous n’abandonniez pas complètement Antoine. Il va bientôt avoir trois ans, il va devoir aller à l’école, qu’allons-nous faire ? Il faudra mettre tout ça au point dès que possible.

¾    Je vais demander le divorce et, si vous acceptez, je souhaiterais que vous en ayez la garde. Auquel cas, il pourra aller à l’école ici, à Conflans. Rien ne pourra se faire avant que le divorce soit prononcé. Vous êtes d’accord pour que je demande le divorce ? s’inquiète Mario devant la tête des Pasquier qu’il voit s’allonger.

¾    Oui, je crois que, malheureusement, c’est l’issue logique de toute cette histoire. Il est vrai que si nous pouvons garder Antoine, ça nous fera plaisir. Il est notre rayon de soleil, dit Simone avec un pauvre sourire. D'ailleurs, il ne peut pas être mieux qu’ici, dit-elle à mi-voix, comme si elle pensait tout haut.

¾    J’en suis sûr, relève Mario.



Le lendemain de son retour, comme promis, Brigitte a fait un chèque de mille francs à son amie Maryvonne pour la rembourser de l’acompte versé à l’agent immobilier. Puis, elle est allée le voir pour prendre possession de l’appartement que son amie lui a retenu.

En effet, il s’agit d’un joli deux pièces, avec une petite terrasse, plein sud, dans un immeuble bas de trois étages. L’appartement est sous les toits et les poutres apparentes lui donnent beaucoup de charme.

Comme annoncé, il y a des travaux de peinture. Il faut aussi changer la moquette et tout nettoyer, mais ça vaut le coup.

Brigitte a encore un petit peu d’argent qu’elle avait mis de côté du temps où elle travaillait encore et aussi son allocation de mère au foyer qu’elle a touché par la suite. Elle peut financer les travaux pour autant qu’elle les fasse elle-même. Maryvonne, et son ami Louis Péron, viennent lui donner un coup de main le premier week-end où elle a les clés, pour faire le plus gros des travaux. Quelques jours avant, Brigitte a eu le temps de choisir sa moquette et son papier peint.

Elle doit également acheter des meubles, puisqu’elle n’a rien du tout. Le grand placard de l’entrée, lui évite l’acquisition d’une armoire. Elle peut déjà y installer ses affaires. Elle doit tout de même se procurer un lit, une table, des chaises, un canapé, une commode. Heureusement, la cuisine est déjà équipée et traitée à l’Américaine, c’est-à-dire uniquement séparée de la pièce principale par une sorte de bar. Au fond de la pièce, une chambre avec une salle de bain attenante.

Tout ça est mené tambour battant, en huit jours, Brigitte a quitté l’appartement de Maryvonne pour le sien. Maintenant, il faut qu’elle trouve un travail et s’y emploie activement.

Au bout de trois semaines, elle est reçue en entretien au Cabinet Kerrien et Leguidel, avocats en vue à Quimper, pour être l’assistante de Mélaine Leguidel, un des deux associés. Elle n’a jamais fait de juridique et s’inquiète de l’issue de l’entretien.

Mais son expérience vélizienne, sa classe et sa beauté retrouvées après avoir maigri, suffisent à emporter le morceau. Mélaine Leguidel est très sensible à son charme et à son intelligence. Elle se garde bien d’évoquer l’épisode garde à vue et, sanglée dans son plus joli tailleur, passe pour une personne parfaitement à la hauteur.

Mélaine Leguidel, quarante ans, les cheveux déjà grisonnants mais encore abondants, grand, mince, élégant et l’air sportif. Il possède un bel appartement à Quimper non loin des quais de l’Odet, une résidence secondaire à Bénodet, avec voilier dans le port et une jolie berline, gris métallisé de marque BMW, très chic. Il a divorcé depuis une dizaine d’années.

Brigitte n’est pas insensible au charme de cet homme aux yeux bleus, au teint bronzé et au sourire éclatant. Son style et son allure lui rappellent Mario, c'est un peu le même type d'homme. Il est clair qu’ils se plaisent. Elle est donc embauchée. Il est même prêt à lui faire faire un stage de mise à niveau spécifique pour le juridique. Il s'agit principalement d'un cabinet d’avocats d’affaires, situé place St-Corentin, en face de la magnifique cathédrale de Quimper. Mélaine Leguidel en est le spécialiste du cabinet. Il est donc indispensable que son assistante ait au moins des notions de constitution de société, d’organisation d’assemblée générale, de ce qu’est un K-bis, description juridique de la constitution d’une société ou l’inscription au registre du commerce.

Brigitte est parfaitement d’accord pour commencer par-là. Plus elle en saura, plus elle pourra se vendre chère, ici ou ailleurs.

La semaine suivante, elle prend officiellement ses fonctions auprès de Maître Leguidel et, le lendemain, se présente dans la zone industrielle au nord de la ville, au centre de formation qui va la transformer en assistante juridique hors pair.

Elle reprend du poil de la bête. Elle se sent revivre. Elle essaie d’oublier les affres de la jalousie et de la frustration. Elle voit enfin se dessiner une nouvelle vie, comme si elle venait d’ouvrir une porte sur un autre paysage. Elle se sent heureuse, ne serait-ce que de retravailler, c’est pour elle le principal.

Elle semble avoir oublié ses enfants. Clément lui téléphone de temps en temps ; elle, jamais. Quant à Antoine, elle ne demande même pas de ses nouvelles. Elle veut tourner la page, changer de vie radicalement. Elle n’appelle pas non plus ses parents qui continuent à se morfondre dans leur coin.

Un jour cependant, n’en pouvant plus, Pierre décide d’appeler son portable. Pour une fois, il est ouvert. N’étant plus recherchée par personne, Brigitte s’est remise à fonctionner normalement.

¾    Allô, Brigitte ? C’est Papa.

¾    Ah !… oui… bonjour, comment vas-tu ?

¾    Ça irait mieux si tu nous donnais des nouvelles de temps en temps. Mais toi, comment ça va ?

¾    Ça va, ça va.

¾    Que deviens-tu ?

¾    J’ai trouvé du travail et je me suis installée à Quimper.

¾    Ah bon ! C’est bien, tu es heureuse alors.

¾    Oui, très heureuse.

¾    Tu ne demandes pas des nouvelles d’Antoine ? s’étonne Pierre.

¾    Non, ce n’est pas la peine, je suis sûre qu’il va très bien. S’il y a un problème, vous n’avez qu’à joindre son père.

¾    Tu n’es pas très maternelle, dis donc.

¾    Si c’est pour me faire la morale que tu me téléphones, ce n’est pas la peine.

¾    Non, non, bien sûr, n’en parlons plus, se dépêche de rassurer Pierre, ayant peur qu’elle ne lui raccroche au nez.

¾    C’est ça, n’en parlons plus. Une fois pour toutes, je ne voulais pas de cet enfant, il est à l’origine de tous mes problèmes, c’est son père qui en voulait, il n’a qu’à le garder. Je ne veux plus qu’on m’en parle.

¾    Bon, bon, comme tu voudras, se résigne Pierre. Tu veux dire bonjour à ta mère ? risque-t-il.

¾    Ce n’est pas la peine, tu lui diras bonjour de ma part, je dois y aller maintenant. Je t’embrasse.

¾    Oui, moi aussi, répond tristement Pierre avant de raccrocher.

Simone, comme d’habitude, ayant tout entendu, a les larmes aux yeux en entendant sa fille refuser de lui parler. Elle sent que c’est surtout entre elles deux que ça ne passe pas. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle a préféré laisser Pierre appeler, s’évitant ainsi l’affront de se faire éventuellement raccrocher au nez.

Elle ne comprend pas le problème qu’a sa fille avec elle. Elle ne comprend pas pourquoi et de quoi elle peut lui en vouloir à ce point. Elle essaie de se remémorer à partir de quand elle a constaté la froideur puis l’éloignement de Brigitte. Elle constate que ça s’est passé petit à petit, elle n’a plus cherché à lui parler depuis qu’elle s'est mariée la première fois. Pendant les repas du dimanche avec Christophe et Clément, elle faisait toujours un peu la tête. Elle se rend compte maintenant, qu’elle venait déjeuner avec son mari et son fils, uniquement pour leur faire plaisir, mais qu’elle n’en avait manifestement pas envie. Et puis, après son mariage avec Mario, ça été fini. Elle n’est plus jamais venue les voir ni ne les a appelés au téléphone.

Simone ne se rappelle pas avoir eu des problèmes avec sa fille quand elle était jeune. Elle ne voit pas non plus où elle a manqué quelque chose avec elle. Il y a bien eu cette vieille histoire avec Edmond, son frère aîné, que Brigitte accusait de l’avoir touchée de trop près, voire peut-être plus, mais Simone ne peut pas y croire, c’était sûrement une invention de jeune-fille.

Il faut dire que Simone ne voit le mal nulle part. Même quand il est sous ses yeux, elle en est tellement éloignée qu’elle ne peut l’apercevoir. Et puis son frère, son unique frère, elle le connaît bien, il ne peut pas avoir fait ça. Elle ne se souvient même plus exactement quels étaient les termes de l’accusation de Brigitte. Elle essaie de se rappeler quand même : des attouchements ? peut-être même un viol ? Non, ce n’est pas possible, elle a forcément inventé ça.

À quinze ans déjà, elle avait l’air d’en avoir presque vingt, elle était déjà très jolie, avec toutes les rondeurs, là où il faut. Elle a dû l’aguicher ou alors elle aurait bien voulu et il a refusé, alors elle s’est vengée en racontant des choses horribles. Voilà, ça doit être ça. Tout ça doit être de l’invention.

Elle se rend compte qu’il faudrait qu’elle en parle à Edmond, pour avoir son point de vue sur la question, voir s’il serait troublé en lui en parlant. Mais l’idée même d’aborder ce genre de sujet avec son frère lui répugne et lui fait horreur. Elle n’aura jamais le courage de parler de ça avec lui, plus de vingt ans après. Elle redoute sa réaction, surtout si, comme elle en est persuadée, il est parfaitement innocent. Mais elle ne comprend toujours pas pourquoi Brigitte lui ferait la tête à elle, qui n'y est pour rien.

Elle chasse toutes ces vilaines pensées de sa tête. Elle n’en a jamais parlé à Pierre et ne croit pas que Brigitte l’ait fait non plus, sinon, il y aurait eu des réactions. Elle n’ose pas lui demander, bien entendu.

Elle ne croit pas à tout ça, mais quand même, c’est pour elle le seul différend sérieux qu’elle ait eu avec sa fille. C’est la seule fois où elles se sont fâchées toutes les deux. Elle se dédouane en pensant que Brigitte a porté ses accusations quand elle avait dix-huit ans, trois ans après les soi-disant faits. Elle suppose alors que, pour une raison qui lui échappe encore, sa fille a très bien pu tout inventer à dix-huit ans en prétendant que ça s’était passé plus tôt, quand elle était mineure, pour faire accuser son oncle.

En fait, Simone ne sait plus quoi penser. Elle brûle d’envie d’en parler à Pierre et puis une fois pour toutes à Edmond. Mais elle ne le fera pas. Elle a trop peur. Si Pierre croit à cette histoire, il ira tout de suite casser la figure de son beau-frère, même s’il est innocent.

Quant à Edmond, elle ne sait même pas s’il en a entendu parler. De toute façon, il y a sûrement prescription, ça ne servirait donc à rien. Et puis, si, comme elle en est sûre, il est innocent, elle ne voudrait pas lui causer des ennuis.

Elle devra donc rester avec ses interrogations, ses incertitudes, ses doutes, sans jamais en avoir le cœur net. Elle voudrait renouer avec sa fille et ne sait pas comment faire. Elle se rend bien compte que, pour ça, il faudrait qu’elle aille dans son sens et reconnaisse les faits. Elle ne le peut pas, surtout en l’absence totale de preuves.

Pierre est inquiet de voir sa femme, le regard perdu, semblant partie loin.

¾    À quoi penses-tu, Monette ? lui demande-t-il gentiment.

¾    À rien, à rien, ment Simone.

¾    Depuis un quart d’heure que tu as le regard perdu, tu dois bien penser à quelque chose d’important.

¾    Je me demandais si tu avais une idée pourquoi Brigitte ne veut plus me parler, risque-t-elle.

¾    Ah ça ! C’est la grande question. Moi aussi, je me suis la suis posée.

¾    Elle ne t’a jamais rien dit ? Elle ne t’a fait aucune confidence ? s'enquiert Simone.

¾    Non, je ne vois pas.

¾    Même il y a longtemps, quand elle était jeune-fille, par exemple, tente-t-elle.

¾    Que veux-tu dire ? Non, je ne vois pas.

¾    Bon, ça ne fait rien.

¾    Si, si, tu as une idée derrière la tête. Va jusqu’au bout, insiste Pierre.

¾    Non, non, rien.

¾    Simone, je te connais, je sais que tu penses à quelque chose, dit gravement Pierre.

¾    Je ne sais pas, c’est une vieille histoire, commence Simone qui se sent à la fois piégée et soulagée de pouvoir peut-être enfin partager son angoisse avec son mari.

¾    Quelle histoire ?

¾    Une histoire entre elle et Edmond, quand elle était jeune-fille, commence timidement Simone.

¾    Elle et Edmond ? s’étonne Pierre avec inquiétude.

¾    Oui, elle prétendait qu’il lui faisait les yeux doux, minimise-t-elle, ne pouvant porter une accusation aussi grave.

¾    Il lui aurait fait les yeux doux ? Je n’ai jamais rien remarqué.

¾    Moi non plus, c’est pourquoi je doute fort. Mais il faut constater que c’est la seule fois où Brigitte et moi nous sommes accrochées sévèrement et je me demande si ce n’est pas pour ça qu’elle m’en veut.

¾    Tout de même, ce n’est pas sérieux. Elle ne peut pas t’en vouloir pour ça. Le mieux serait d’en parler à ton frère, après tout, non ?

¾    Tu sais, plus de vingt ans après, c’est sûrement un peu vieux. Et puis, peut-être que je me trompe ou qu’elle a tout inventé. Je ne vois pas Edmond faire les yeux doux à sa nièce.

¾    Non, moi non plus, mais enfin, on ne sait jamais.

¾    Non, je ne veux pas lui en parler, surtout maintenant, c’est trop tard. J’aimerais mieux voir ça avec Brigitte, quand l’occasion se présentera, si elle se présente un jour, dit Simone pour tout arrêter avant que son mari n’aille soulever un lièvre.

¾    Bon, comme tu voudras. En tout cas, ce n’est sûrement pas ça, ce n’est pas assez grave pour se fâcher à vie. Non, je pense que c’est sûrement un évènement plus récent, mais je ne vois pas lequel.

¾    Bon, tant pis, n’en parlons plus, dit Simone soulagée de ne pas aller plus loin.



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