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Les romans de Melwija
2 octobre 2009

LES AMBITIEUX (Parution 5/14)

LES AMBITIEUX

Parution n°5/14

Rappel des faits antérieurs : Brigitte Leroy est devenue la maîtresse de Mario Spanelli et a quitté son mari Christophe et son fils Clément pour habiter la belle maison versaillaise de Mario. Elle va enfin vivre la vie dont elle a toujours rêvé.



Aline voit arriver Mario et Brigitte dans la même voiture. Elle a compris. "Ça y est, ils ont passé le week-end ensemble, pense-t-elle. La Brigitte va ramener sa fraise". C’est le moins qu’on puisse dire. Brigitte rentre dans l’établissement et se met à son poste, toujours avec son grand sourire mécanique. Elle sent qu’elle peut tout se permettre à présent.

¾    Bonjour Aline. Je croyais que ces enveloppes devaient partir vendredi. Vous ne m’aviez pas dit que vous les enverriez vous-même ? dit-elle d’un ton pincé.

¾    Oui, mais je vais le faire maintenant. Ce n’est pas forcément très urgent, c’est de la pub.

¾    Même la pub est urgente. Et puis quand on dit qu’on fait quelque chose, on le fait.

¾    Bon, mais ça va, c’est pas un problème.

¾    Mais si c’est un problème. Comme les statistiques de l’autre jour, j’ai relevé une erreur dans la formule de calcul du taux de progression du chiffre d’affaires.

¾    Ah ! Parce que vous vérifiez mon travail maintenant ? s’étonne Aline.

¾    Il le faut bien, la preuve.

¾    Mais, occupez-vous de vos affaires au lieu de vous occuper de celles des autres.

¾    Ne vous inquiétez pas, mon travail va changer bientôt.

¾    Ah oui ! Vous croyez ça ?

¾    Vous verrez bien.

   Aline repart dans son bureau, furieuse et inquiète en même temps. Elle sent que la nouvelle situation de Brigitte lui monte à la tête. Elle redoute un peu la réaction de Mario. Elle le connaît suffisamment pour savoir que les femmes qu’il aime peuvent tout obtenir de lui. Elle s’attend au pire.

¾    Monsieur, je peux vous parler ?

¾    Oui, Aline, qu’y a-t-il ?

¾    Je viens d’avoir une petite altercation avec Brigitte, expose Aline en fermant la porte du bureau pour qu’on n’entende pas la conversation.

¾    Ah ! Déjà ? dit Mario en rougissant un peu.

¾    Oui, déjà. Je suis désolée. Votre vie privée ne me regarde pas du tout. Mais en l’occurrence, Brigitte semble se croire tout permis sous prétexte que…

¾    Qu’elle est ma maîtresse ? avoue Mario qui a repris sa contenance.

¾    Oui, enfin, ce matin elle m’a attaquée bille en tête. Elle vérifie mon travail derrière moi, elle critique tout ce que je fais ou ne fais pas. Si c’est elle mon chef, il faut me le dire. Mais pour le moment, il me semblait que c’était vous et que vous ne vous plaigniez pas particulièrement de mes services.

¾    Mais non, Aline, vous savez très bien que je suis très satisfait de vous.

¾    Alors, il serait peut-être bon que vous le lui rappeliez. Sinon, il faut le dire, si elle veut prendre ma place, que je sache à quoi s’en tenir.

¾    Mais non, pas du tout. Il n’en est pas question. Peut-être je lui trouverai un autre poste un peu plus important, mais il n’est pas à l’ordre du jour que je me sépare de vous.

¾    Heureuse de vous l’entendre dire, et je souhaite que cet ordre du jour ne soit pas modifié.

¾    Ne vous inquiétez pas, dit Mario en sortant du bureau.

Aline sourit machinalement à son patron. En fait, elle n’est pas dupe. Elle connaît les revirements spectaculaires de Mario, elle sent la détermination et l’hostilité de Brigitte, elle voit ses grandes dents rayer le parquet.

Elle se dit que, de toute façon, elles ne partiront ni l’une ni l’autre. Elle, en tout cas, restera jusqu’à ce que Mario la licencie. Cette fois, elle ne lâchera pas prise. Il faut dire qu’elle n’a pas d’autre place en vue. Elle a tout quitté pour le rejoindre et participer à la création de cette société ; à son âge, elle aura du mal à retrouver du travail.

Mario, qui s’inquiète à son tour de la tournure des événements et ne supporte pas que ses employés ne s’entendent pas, va voir Brigitte, à l’accueil.

¾    Alors, il y a de l’eau dans le gaz avec Aline ? interroge-t-il en parlant à mi-voix.

¾    Ah ! Il a fallu qu’elle vienne se plaindre, constate Brigitte sur le même ton.

¾    Ce n’est pas le problème. Elle est mon assistante, elle doit me rendre compte de ce qui se passe dans la boîte. C’est normal, surtout quand elle est concernée directement.

¾    En tout cas, elle ne travaille pas bien et je le lui ai fait remarquer. C’est tout.

¾    Mais ce n’est pas à toi de le faire.

¾    Oui, mais tu ne le fais pas. Il faut bien que quelqu’un le fasse.

¾    Mais elle travaille comme elle l’entend. Elle n’a pas de comptes à te rendre.

¾    En tout cas, il faudra bien que tu me trouves un autre poste, je n’en peux plus de celui-là. Je veux faire plus de choses et ne veux plus être la dernière roue du carrosse. Il faut que tu embauches une standardiste et que tu me trouves autre chose à faire. Mais pas un petit boulot de secrétaire, quelque chose de mieux.

¾    Comme mon adjointe, par exemple ?

¾    Eh bien, voilà ! Tu vois quand tu veux, jubile Brigitte avec un grand sourire et les yeux brillants de bonheur.

¾    Je vais étudier la question. Je t’en reparle.

¾    Rapidement j’espère.

¾    Je fais de mon mieux.

    Mario vient d’avoir cette brillante idée. Comme toujours, quand un problème se pose, il a une idée lumineuse immédiatement pour le résoudre. C’est sa force. Mais maintenant, il va falloir réconcilier les deux femmes pour qu’elles s’acceptent. Il ne supporte pas la zizanie dans son équipe. Il faut en tout cas, éviter qu'Aline ait à  rendre éventuellement des comptes à Brigitte. Le mieux est que sa nouvelle adjointe fasse son secrétariat elle-même et n’ait aucun rapport avec l’assistante de son patron. Oui, c’est ça la solution, sinon elles vont se crêper le chignon et il n’aura pas sa tranquillité. Il faut qu’il trouve les mots pour faire accepter cette situation aux deux femmes.

¾    Bon, Aline, j’ai une idée. On va embaucher une standardiste et Brigitte va devenir mon adjointe.

    Aline blêmit et le regarde avec les yeux hagards.

¾    Alors ça, il n’en est pas question. Je ne veux en aucun cas avoir à travailler avec cette femme.

¾    C’est ce que je pensais. Je ferai en sorte que vous n'ayez pas à faire à elle. Elle fera son secrétariat et me rendra compte ; vous, vous continuerez à faire mon assistanat, uniquement.

¾    Oui, comme ça, à la rigueur, je veux bien. Mais il faut que vous lui mettiez bien les points sur les i pour qu’elle ne passe pas les bornes.

¾    D’accord, mais il faudra vous dessaisir de quelques travaux importants, comme les statistiques ou la préparation de certaines réunions ici ou à l’extérieur.

¾    Ah, voilà ! Je me disais aussi. Donc moi, je garde le ras des pâquerettes.

¾    Mais non, pas du tout. Vous vous occupez de tout le reste, tout le courrier, tous les voyages, toute l’organisation du service, toute l’intendance. Il vous reste beaucoup de choses tout de même. Et puis vous gardez votre poste, dit Mario sachant toucher là le point le plus sensible pour Aline.

¾    Oui, bien sûr, se résigne-t-elle en envisageant en effet cet aspect des choses.

¾    Bon, vous êtes d’accord ? Je peux lui proposer le poste ?

¾    De toute façon, c’est vous le patron, vous faites comme vous voulez, dit Aline tristement.

¾    Heureux de vous l’entendre dire. Allez, souriez.

¾    Oui, fait Aline avec un sourire forcé de clown.

¾    En attendant, faites le nécessaire pour embaucher une standardiste. C’est votre responsabilité, dit-il en sortant, pour la valoriser.

Mario rentre dans son bureau et commence à réfléchir au poste d’adjointe et surtout au salaire qu’il va devoir lui verser. Actuellement, elle est payée trois-mille cinq-cents francs par mois. En étant son adjointe, elle doit au moins gagner le double. Il part dans des grands calculs pour savoir combien, avec les charges sociales, l’URSSAF et toute la clique des charges patronales, ce poste, au demeurant parfaitement inutile, du moins pour le moment, va lui coûter. Maintenant, il va falloir le justifier auprès du comptable… et de ses associés. Mais il s’y sent obligé car, sans ça, il n'aura pas la paix.

Il sent bien aussi que, s’il veut garder Brigitte auprès de lui, il doit en passer par-là. Il s’illusionne, comme d’habitude, plus sur ses propres sentiments que sur ceux des autres. Il est très perspicace et connaît très bien la nature humaine. Il sait parfaitement que si Brigitte est venue avec lui c’est plus pour sa maison, son argent et sa situation que pour ses beaux yeux, même s’ils ne sont pas si mal.

Il a remarqué son attitude en s’installant chez lui. Il a vu son émerveillement devant son intérieur, devant la femme de ménage, devant la fine gourmette en or et petites perles, qu’il lui a offerte place Vendôme, devant les planches et le casino de Deauville, avec le repas à l’hôtel Normandy. Il a bien vu que c’était pour tout ça qu’elle était avec lui. Bien sûr, au lit, ils s’entendent bien parce qu’ils se ressemblent. En dehors du lit, c’est le luxe et l’argent qui l’attirent. Mais Mario s’en moque.

À l’heure du déjeuner, il vient inviter Brigitte dans un restaurant loin du bureau, pour ne pas avoir d’oreilles indiscrètes.

¾    Bon, voilà. Je te propose un poste d’adjointe, "mon" adjointe. Ton salaire sera doublé. Tu commenceras dès que nous aurons trouvé une standardiste. Aline est sur le coup, elle fait le nécessaire et sait que c’est urgent.

¾    Mon salaire sera doublé ? C’est pas mal, mais je pense que tu peux faire un peu mieux, non ?

¾    Tu es insatiable. Nous verrons dans six mois. Tu dois quand même faire tes preuves. Dans aucune autre boîte tu ne pourrais bénéficier d’un doublement pur et simple de ton salaire. Ne sois pas trop gourmande, parce qu’à trop demander, on perd tout, méfie-toi, dit-il avec un clin d’œil en souriant.

¾    Bon, on verra. Mais Aline va devoir travailler sous mes ordres. Ça ne va pas lui plaire.

¾    Non, justement. Tu seras complètement indépendante, un électron libre. Tu ne rendras compte qu’à moi. Je te chargerai de missions ponctuelles, tu feras les statistiques, tu prépareras les grosses réunions et tu voyageras avec moi ou sans moi d’ailleurs, si tu as des déplacements à faire pour un travail donné. Tu ne dois pas avoir affaire avec Aline. Elle est d’accord.

¾    Ah bon ! C’est bien, entendu comme ça, se résigne Brigitte comprenant qu’elle n’obtiendra pas plus pour le moment et se disant qu’il vaut mieux tenir que courir.



   Une semaine après, Aline a vu sept standardistes potentielles. Elle en a retenu deux qu’elle charge Mario de départager : Véronique Marino, vingt et un ans, jolie minette présentant très bien, un peu écervelée, un peu naïve et Sandra Bertin, trente-cinq ans, nettement moins jolie, un peu enveloppée, mais tirée à quatre épingles, excellente présentation, du métier. Malheureusement, un enfant en bas âge.

Mario reçoit les deux femmes et, comme Aline l’avait prévu, il choisit Véronique. Il faut dire qu’elle est ravissante, gentille et charmante. Son côté un peu naïf et enfantin rajoute à son charme. Elle a le mérite d’être célibataire et d’habiter Vélizy. C’est, a priori, un gage d’assiduité et de ponctualité.

Quand Véronique arrive le matin de son embauche, Brigitte prend la matinée pour lui expliquer tout le fonctionnement du standard et de la société. Après le déjeuner, elle s’installe enfin dans un petit bureau au bout du couloir, jusqu’ici réservé à la photocopieuse et à quelques armoires qui ont été déménagées. On lui a acheté un bureau, une armoire et un fauteuil. Elle est très heureuse de sa nouvelle situation et se régale en confectionnant une étiquette avec son nom et surtout son titre "Ajointe de Direction" à poser sur la porte.

La société progresse toujours. Voilà cinq ans qu’elle est créée et le chiffre d’affaires ne cesse de monter, irrégulièrement certes, mais de monter tout de même. Maintenant, le salaire des associés est passé à dix-sept mille francs. Comme toujours chacun gère son argent selon son tempérament, François Marrois et Alain Gestaing en ont mis de côté, ont fini de payer leurs logements, se sont installés dans leur nouvelle condition de "monsieur avec une bonne situation".

Comme de juste, le seul à toujours tirer le diable par la queue c’est Jérôme. Il a fini par quitter Virginie, il prend Kévin avec lui à mi-temps, comme le font les parents divorcés. Bien entendu, il ne s’est pas remarié. Il est décidément fait pour le célibat.

C’est avec un certain désappointement qu’il a vu le mariage de Mario. D’abord, Brigitte, il ne la sent pas. Il a bien compris ses motivations profondes. Il est peiné de voir qu’il va se faire avoir encore une fois, par une femme qui n’en veut qu’à son argent et son train de vie. Il a bien remarqué les intrigues de Brigitte pour devenir sa maîtresse et puis, sitôt fait, pour se faire promouvoir à un poste prestigieux. Il sait bien qu’il n’a pas besoin d’une adjointe et a très bien compris pourquoi il faisait ça. Lui aussi le connaît par cœur.

Cinq nouvelles embauches ont eu lieu. Outre Véronique Marino on a accueilli ce mois de mars 1990, un technicien supplémentaire, un coursier-livreur,  un vendeur de logiciels, un formateur informatique. L’effectif se monte maintenant à vingt-six personnes.

Mais ce n’est pas tout. Mario veut ouvrir des succursales un peu partout en France : à Lyon, à Brest, à Bordeaux, à Aix-en-Provence, à Strasbourg, à Clermont-Ferrand. Il doit donc embaucher six directeurs, six secrétaires et au moins douze vendeurs. Il charge Brigitte de trouver des locaux adéquats dans chacune de ces villes. Elle se déplace alors pour visiter des locaux, choisir des endroits stratégiques dans des zones industrielles récemment créées, opérer une première sélection d’embauches qu’elle soumettra à Mario. Elle a carte blanche et s’en tire très bien.

À la fin de l’année 90, l’effectif total de la société se monte donc à soixante personnes. En cinq ans, Mario a pratiquement multiplié son effectif par dix. Il se félicite de cette ascension fulgurante, mais il s’inquiète d’une trop rapide croissance qui pourrait se retourner contre lui.

Parallèlement à cette envolée, il décide d’acheter de petites sociétés pas chères parce qu’en perte de vitesse, mais qu’il compte bien redresser. Des sociétés utiles comme une agence de voyages, une petite imprimerie, un petit journal local.

L’agence de voyage bien sûr pour faciliter ses déplacements et tous ceux de ses collaborateurs. L’imprimerie pour éditer à moindre coût les publicités, les circulaires, les cartes de vœux, les plaquettes commerciales. Le petit journal, pour passer ou lire les annonces qui l’intéressent, faire de la publicité.

En tout, s’il compte aussi ces effectifs-là, le "groupe Tech Log" compte une centaine de personnes qu’il charge Brigitte de superviser. Mario se frotte les mains. Il a réussi… et Brigitte aussi.



    Brigitte et Mario forment un beau couple qui respire le bonheur. Elle est très heureuse. Mario lui a procuré un avocat hors pair, Maître Parisot, à Versailles qui a mené son divorce tambour battant. Huit mois après, tout était fait. Vu son mode de vie reconnu, les indemnités compensatoires ne sont pas très élevées, au grand soulagement de Christophe, bien qu’il ait une bonne situation maintenant qu’il a été nommé Chef de Département à EDF.

Mario adore les enfants et s’est tout de suite bien entendu avec Clément, qui, au grand désappointement de son père, le trouve "super". Il adore aller chez sa mère, courir dans le jardin où il a à peu près tous les droits et où il bénéficie d’une voiture et d’une moto électriques et de divers jeux beaucoup plus intéressants que ceux qu’il a chez son père. En vacances, il est déjà parti en bateau, avec sa mère et Mario. Il est finalement très heureux de cette situation.

Christophe ne s’est pas remarié. À part quelques aventures par-ci, par-là, il n’a trouvé personne pour remplacer réellement Brigitte. Il rumine toujours un peu, il est devenu un peu aigri et désabusé, mais il se dévoue à son fils comme il peut, c’est-à-dire avec une imagination déficiente. Enfin, il y a longtemps que Clément, qui a maintenant dix ans, a fait la part des choses et qu’il sait ce qu’il peut attendre de l’un et de l’autre. De l’amour chez son père, la belle vie chez sa mère.

Un soir, Brigitte ayant constaté l’arrêt de ses règles, apprend, consternée, qu’elle est enceinte. En effet, elle se rappelle avoir oublié sa pilule, un soir où ils étaient partis à Deauville seulement pour la journée et où ils avaient fini par passer le nuit à l’hôtel Normandy. C’était mi-mai, et voilà que début juin, ses règles n’arrivent pas. Elle pense d’abord que c’est peut-être un excès de fatigue ou quelque chose comme ça. Mais, début juillet, ses règles toujours absentes, elle constate qu’elle n’entre plus dans ses soutien-gorges. Là elle en est sûre, elle est enceinte et d’un air très ennuyé, elle l’annonce à Mario.

Il est fou de joie. C’est la première fois qu’il aura à élever son propre enfant. Jusqu’ici, ce n’était que ceux de ses maîtresses. Cette fois-ci c’est le sien. Il n’en aime Brigitte que plus, bien qu’il ait déjà remarqué la petite Véronique, qui est si appétissante et dont le joli minois lui donne une impression de déjà vu.

Brigitte n'est pas heureuse de la réaction de Mario, et elle est furieuse de s’être laissée piégée. Elle avait bien besoin de ça. Déjà, elle a du mal avec Clément, alors avec un bébé maintenant, ça ne va pas être commode. Si Mario n'était pas si fou de bonheur à l'idée d'avoir cet enfant, elle avorterait. Vu sa réaction, cela ne semble même pas imaginable.

Elle doit maintenant s'organiser pour que cette grossesse lui pose le moins de problèmes possibles. Elle envisage de prendre une nourrice à demeure pour garder son enfant, ce sera plus pratique. Elle pourra même la loger, dans le petit pavillon de gardiens, à l’entrée de la propriété. Il suffit de le remettre en état et le tour est joué. Oui, elle fera ça, ainsi elle sera plus libre. Elle ne sera pas obligée d’attendre l’arrivée de la nourrice pour partir travailler et pourra continuer à se déplacer en toute liberté.

Pour Mario, le problème ne se pose pas du tout en ces termes. Pour lui, ses origines italiennes aidant, la mère de son enfant doit rester à la maison pour l'élever elle-même. Il n’est pas question qu’elle prenne une nourrice et le fasse éduquer par quelqu’un d’autre. Autant jusqu’ici il a transigé, toléré, accepté tous ses caprices, autant sur ce point-là il sera intraitable.

Maintenant qu’elle est enceinte, elle veut, comme une compensation, se faire épouser. Mario n’est pas contre, puisqu’elle va être la mère de son enfant. Fin août, quand sa grossesse n’est pas encore réellement visible, ils se marient, en grande pompe à N.D. de Versailles, avec un vin d’honneur dans leur jardin et une réception dans une salle du château spécialement réservée aux noces et banquets.

Beaucoup de monde, de jolies voitures, de belles toilettes, très jet-set. Brigitte est aux anges, elle est la reine de la fête, avec une robe Dior Boutique de toute beauté. Le plus beau jour de sa vie. Elle en a oublié qu’elle était enceinte. La voilà Madame Spanelli. Elle n’arrive pas à y croire, elle, fille d’ouvriers, la petite standardiste, accessoirement secrétaire, est devenue Madame Spanelli et Adjointe de Direction. Quelle ascension !

Ses parents, Pierre et Simone Pasquier, invités bien sûr au mariage, n’en croient pas leurs yeux, de voir tous ces gens extraordinaires. Pour un mécanicien auto et une assistante maternelle, cette gentry dans ces endroits luxueux les met un peu mal à l’aise. Ils s’étonnent de voir leur fille, autrefois si timide et réservée, évoluer, très à l’aise, au milieu de toutes ces personnalités, dont ils ont vu certaines à la télévision, dans sa robe de luxe.

Brigitte les a aidés à choisir et surtout à payer des tenues appropriées, achetées dans un magasin spécialisé à St-Germain-en-Laye. Ce n’est pas Dior, mais le prix de la robe de Simone, deux-mille cinq-cents francs, passe à ses yeux pour une fortune. Broutille pour Brigitte d’autant que c’est Mario qui paye. Simone n’en revient pas de voir sa fille si riche.

Bien sûr, les parents de Brigitte ont très mal pris son divorce. D’abord parce que chez eux, on ne divorce pas. Et puis, parce qu’ils aiment bien Christophe et qu’ils pensaient qu’ils étaient heureux, alors ils n’ont pas compris pourquoi Brigitte n’en voulait plus.

Quand ils ont fait la connaissance de Mario, ils l’ont trouvé trop tout : trop aimable, avec son bouquet de fleurs trop grand, trop admiratif, trop bavard, trop démonstratif. Il n’est pas de leur monde, il ne fait pas partie de leurs fréquentations. Ils sont mal à l’aise avec lui. Mais il avait l’air tellement amoureux de leur fille, qu’ils lui ont pardonné tous ses excès.

Brigitte n’a pas encore osé leur dire qu’elle était enceinte. Parce que déjà pour eux, vivre maritalement, ils ont du mal, alors avoir un enfant hors mariage ! Ça avait déjà été le cas pour Clément, elle ne peut pas leur faire le coup deux fois. C’est aussi pour eux qu’elle a tenu à se marier tout de suite. Elle ne voulait pas accoucher sans avoir régularisé la situation. Maintenant, elle va pouvoir leur dire et elle pense qu’ils seront heureux.

À présent, Brigitte est en arrêt maternité et s’ennuie chez elle. Enfin, début février 1991, elle met au monde un joli garçon que l’on nomme Antoine. Elle a encore deux mois d’arrêt de travail, elle n’en peut plus de rester chez elle.

Au sujet de Mario ses sentiments sont partagés. Il est tellement gentil avec elle, il fait tellement tout ce qu’elle veut, qu’elle a fini par l’aimer. Mais de là à lui faire un enfant, elle ne pensait pas aller jusque là.

¾    Bon, Mario, il faut que l’on s'organise pour faire garder le bébé ; dans un mois et demi je peux reprendre mon travail, commence Brigitte au petit-déjeuner.

¾    Reprendre ton travail ? Mais tu n’y penses pas j’espère.

¾    Comment ça, je n’y pense pas. Mais je ne pense qu’à ça au contraire. Tu ne crois pas que je vais rester ici, entre les couches et les biberons toute la journée.

¾    Mais c’est la place d’une bonne mère. Tu dois élever ton enfant. Tu ne le laisseras pas élever par n’importe qui.

¾    Comment ça élever par n’importe qui ? Mais toutes les femmes font ça. Les nourrices ne sont pas faites pour les chiens. Quand Clément est né, il est allé chez une nourrice et s’en est très bien porté.

¾    Oui, eh bien Clément peut-être, mais Antoine, non.

¾    Comment non ? commence à s’affoler Brigitte qui comprend les intentions de Mario.

¾    Non, c’est tout. Il n’est pas question que tu laisses ton enfant à une étrangère. Je ne serais pas tranquille si je savais qu’il n’est pas avec toi.

¾    Mais il n'a jamais été prévu que je sois mère au foyer.

¾    Mais ce n’était pas prévu non plus que tu aies un enfant. J’en suis particulièrement heureux et je ne t’en remercierai jamais assez. Je t’aimerai toute ma vie pour ça, dit-il en la regardant dans les yeux et lui prenant doucement la main.

¾    Ça me fait une belle jambe que tu m’aimes tant que ça si c’est pour me tenir prisonnière ici, réplique-t-elle en retirant sa main nerveusement.

¾    Tu n’es pas prisonnière, je veux seulement que ce soit toi qui t’occupes de notre fils. Ce n’est quand même pas la mer à boire.

¾    Pour moi, si, réplique Brigitte furieuse, se sentant piégée et au bord des larmes.

¾    En tout cas, il reste encore un mois et demi, on a le temps d’en reparler, dit Mario pour apaiser la discussion et voyant Brigitte prête à pleurer, ce qu’il ne supporte pas.

Elle s’enfuit dans sa chambre et se met à pleurer pour de bon. Elle se rend compte qu’elle n’avait jamais parlé de ces problèmes avec lui et qu’elle n’avait aucune idée qu’il pourrait exiger ça d’elle. Si elle n’était pas mariée, maintenant elle s’enfuirait. Encore que ce ne serait pas facile de revenir travailler chez lui après ça. Elle se sent perdue, prise dans un filet inextricable. Elle voit qu’elle s’est trompée. Comme elle regrette d’avoir oublié cette fichue pilule ! Elle prend la résolution de ne plus jamais se séparer de sa plaquette, de l’avoir en permanence dans son sac, pour que cette situation ne puisse plus jamais se reproduire. Pourtant, c'est déjà la deuxième fois.

Mais, pour le moment, elle s’est bel et bien piégée elle-même. Elle était à cent lieues de penser qu’il pourrait avoir cette sorte de réaction, désuète et rétrograde. Décidément, elle ne tombait que sur des hommes rétrogrades, et Mario semblait plus déterminé que Christophe. Plus aucun homme, de nos jours, n’exige de sa femme qu’elle reste au foyer si elle n’en a pas envie. Il a fallu qu'elle tombe sur les deux seuls qui restaient. C’est tout de même un monde ! De plus, c’est la première fois qu’il lui refuse quelque chose, qu’il lui tient tête, qu’il ne se laisse pas attendrir. Que va-t-elle devenir ?

De retour au bureau, Mario se dépêche de faire le nécessaire pour rendre impossible le retour de Brigitte dans son entreprise.

¾    Bon, Aline, il faut que vous me trouviez une remplaçante pour Brigitte.

¾    Ah bon ! Elle ne reviendra pas ? s’étonne-t-elle.

¾    Je ne pense pas. En tout cas, elle doit faire son congé maternité jusqu’au bout. En attendant, il me faut quelqu’un, ça commence à me manquer de ne plus avoir d’adjointe. Finalement, ce poste qui paraissait un peu inutile au début, m’est devenu indispensable. Trouvez-moi quelqu’un de musclé. Quitte à payer plus cher, je veux une adjointe qui tienne la route, avec de l’expérience dans ce poste. Vous pouvez lui proposer huit-mille francs pour commencer, si elle est vraiment top, j’irai jusqu’à dix-mille. Vous avez la description du poste. L’idéal, serait de trouver quelqu’un qui soit aussi bilingue anglais, ce que n’est pas Brigitte.

¾    Homme ou femme ? demande Aline par acquis de conscience mais connaissant d’avance la réponse.

¾    Une femme, bien entendu. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse d’un homme comme adjoint. Les hommes, c’est bien pour l’équipe de vente, mais je veux une adjointe.

¾    Bien Monsieur, je m’en occupe, répond Aline.

    Trois semaines après, deux personnes sont en lice. Viviane Corbin, quarante ans, bonne présentation, joli visage, divorcée avec un enfant de quinze ans, une solide expérience, mais demandant plus cher que Mario ne veut donner pour ce poste. L’autre candidate s’appelle Valéria Rodrigo, d’origine portugaise, mais née en France. Elle a trente et un ans, célibataire, très classe, les cheveux noirs, tirés, tailleur strict et chic, trilingue anglais et portugais, sortant d’une société où elle avait exactement le même poste depuis cinq ans. Un regard de braise mais un visage adouci par un beau sourire sensuel. Mario est un peu troublé par cette beauté presque sauvage et, bien sûr, en mettant en avant son expérience et ses capacités linguistiques, il la choisit.

   C’est aussi le choix d’Aline qui se dit, qu’après tout, si les choses se passent bien avec elle, elle accepterait de faire aussi son secrétariat.

Pendant ce temps-là, Mario commence à regarder Véronique de plus en plus près. Aline, comme toujours, voit le manège et se doute de son issue. Elle se dit que, décidément, Mario est inconstant. Il vient de se marier il n’y a pas un an, d’avoir un enfant et voilà qu’il est déjà en train de courtiser une autre femme. Enfin, une femme, c’est beaucoup dire, elle pourrait être sa fille.



Véronique ne refuse pas les avances de Mario. Elle en est même flattée quoi qu’un peu indifférente. En fait, comme elle est aussi un peu naïve, elle ne se rend pas compte jusqu’où Mario est capable d’aller. Elle croit qu’il l’aime bien, qu’il est gentil, mais elle ne voit pas de mal à ça. Elle n’est pas là depuis assez longtemps pour le connaître et ne le voit pas venir du tout

Mario regrette un peu de s’être marié. Depuis sa dernière discussion avec Brigitte, elle est morose et triste. Quand il arrive le matin au bureau, il voit le joli visage frais et souriant de Véronique et son cœur fait un bond. Il commence à l’inviter à déjeuner, lui faire parler d’elle, et, plus il la connaît, plus il sent qu’il est en train d’en tomber amoureux. Mais elle semble si fragile, si jeune, qu’il n’ose pas la brusquer.

Elle, de son côté, ne fait rien pour l’aguicher particulièrement. Elle n’a pas assez de malice pour ça. Bien qu’un peu sotte pour les choses de la vie, elle fait très bien son travail et elle est très docile. Elle a une excellente mémoire et elle est très physionomiste, ce qui est un atout dans son métier. Comme Mario veut prendre des gants avec elle, il évite d’être tout le temps sur son dos.

Quand il a embauché Laurent Thiber comme coursier, livreur, homme à tout faire, il a senti de la reconnaissance chez cet homme. Trente-cinq ans, divorcé avec une grosse pension alimentaire à payer ayant eu trois enfants, il était au chômage depuis plus de deux ans et allait bientôt arriver en fin de droits. Il était paniqué de ne pas trouver de travail, n’ayant aucun diplôme ni aucune qualification, il n’arrivait à rien dans ses recherches d’emploi.

Et puis, il avait été embauché à Tech Log, le patron avait donné son aval. Il était prêt à se faire couper en quatre pour lui. Alors Mario s’est mis à utiliser ce dévouement au service de son amour naissant. Il chargeait Laurent de remplacer Véronique au standard quand elle avait une course à faire au centre commercial, par exemple. Ou bien, une autre fois, il l’envoyait acheter un bouquet de fleurs pour mettre sur le comptoir en soulignant que c'était Mario qui l’envoyait, pour elle. Ou encore, il lui remettait, de la part de Mario, un petit cadeau. C'est Laurent son messager.

La pauvre Véronique n’y voit que du feu. Mais elle est consciente que son patron l’aime tellement bien qu’elle ne peut s’empêcher d’en parler à sa mère.

¾    Tu sais, Maman, je suis très contente de travailler à Tech Log, c’est une boîte super.

¾    Ça me fait plaisir, ma chérie, que tu sois dans une boîte super, comme tu dis.

¾    Oui, tout le monde est gentil avec moi et puis à ce poste, c’est bien parce que je vois plein de gens, tous ceux qui entrent et qui sortent. Ils sont tous vraiment très gentils.

¾    Ça fait plaisir d’entendre ça. Mais tu sais bien que de toute façon, tout le monde est toujours très gentil avec toi.

¾    Quand même, mon patron, en particulier. Il est vraiment adorable.

¾    Adorable ? s’inquiète soudain Jeanne.

¾    Oui, il me fait porter des fleurs, il m’a offert ce bracelet, de temps en temps il m’emmène déjeuner au restaurant.

¾    Ah bon ? Mais il ne te demande rien d’autre ? s’inquiète Jeanne de plus belle.

¾    Non, il me fait la bise quelque fois. Et puis il blague souvent parce qu’il est d’origine italienne. Alors, comme je le suis aussi à moitié, ça nous fait un point commun.

¾    Il est d’origine italienne ? Mais il est comment ?

¾    Il est vieux, mais il est assez bel homme tout de même.

¾    Vieux comment ?

¾    La cinquantaine à peu près.

¾    Comment s’appelle-t-il ?

¾    Mario Spanelli.

Jeanne Marino blêmit et se tourne pour que sa fille ne voie pas son trouble. Elle se lève et va faire semblant de regarder par la fenêtre. Elle a du mal à respirer.

¾    Mais Maman, qu’est-ce que tu as ?

¾    Rien, rien du tout, ma chérie. Promets-moi seulement que, si cet homme veut te faire plus que la bise, il faudra que tu refuses énergiquement.

¾    Mais pourquoi ? Tu le connais ? s’étonne Véronique.

¾    Je t’expliquerai peut-être un jour, pour le moment fais ce que je te dis. Surtout, ne va pas chez lui, ni dans un hôtel avec lui.

¾    Mais Maman, il ne m’a jamais demandé ça, qu’est-ce que tu vas chercher ?

¾    Ne m’en demande pas plus maintenant, je t’en supplie, ne va pas plus loin avec lui, c’est tout.

¾    Bon, comme tu voudras, se résigne Véronique sans comprendre.

    Dès que sa fille est partie, Jeanne cherche fébrilement dans le bottin le numéro de téléphone de la société Tech Log et le note soigneusement.

Le lendemain, en mettant un mouchoir sur le combiné pour éviter que sa fille ne la reconnaisse au standard, elle téléphone à la société.

¾    Allo Tech Log, bonjour.

¾    Bonjour, je voudrais parler à Monsieur Spanelli, s’il vous plaît.

¾    Oui, c’est de la part ?…

¾    C’est personnel, répond Jeanne en falsifiant toujours sa voix.

¾    Ne quittez pas.

¾    Aline, j’ai un appel personnel pour Monsieur Spanelli.

¾    Merci, envoie.

¾    Bonjour, ici la Direction, qui est à l’appareil ? demande Aline très professionnelle.

¾    Je voudrais parler personnellement à Monsieur Spanelli, s’il vous plaît, répond Jeanne ayant enlevé le mouchoir du combiné téléphonique.

¾    Ne quittez pas, je vais voir.

¾    Monsieur Spanelli, j’ai quelqu’un pour vous sur la une, c’est personnel.

¾    Bon, merci, je prends.

¾    Allô oui ? dit Mario machinalement.

¾    Allô Mario ? C’est Jeanne, Jeanne Bonnard, tu te souviens ?

¾    Oui… oui bien sûr, se rappelle Mario, très surpris.

¾    Je ne veux pas te parler au téléphone, je voudrais te voir. Pouvons-nous déjeuner ensemble aujourd’hui ?

¾    Qu’est-ce qu’il y a de si urgent, depuis vingt ans que nous sommes séparés ?

¾    Je ne peux pas t’en parler maintenant, il faut que l’on se voie.

¾    Bon, d’accord, midi et demi au restaurant chinois de Vélizy ?

¾    D’accord, à tout à l’heure.

   Quand Mario arrive au restaurant, il aperçoit et reconnaît tout de suite Jeanne, et va vers elle. Ils s’embrassent amicalement.

¾    Ça me fait plaisir de te revoir, Jeanne. Tu n’as pas vraiment changé. Tu es toujours aussi jolie et élégante.

¾    Je te remercie, j’en ai autant à ton service, dit-elle en souriant. Moi aussi, ça me fait plaisir de te revoir.

¾    Alors, qu’y a-t-il de si urgent, vingt ans après ?

¾    Il y a que ta standardiste, Véronique Marino…

¾    Oui, eh bien, tu la connais ?

¾    C’est ta fille.

¾    Quoi ?

¾    Oui, c’est ta fille, et la mienne. Je m’appelle Jeanne Marino depuis vingt ans. Malheureusement, mon mari est mort d’un cancer il y a deux ans, mais Véronique est ta fille.

¾    Attends, je n’y comprends rien, explique, s’affole un peu Mario.

¾    En fait, quand tu m’as quittée, il y a vingt ans, je me suis aperçue, un mois après, que j’étais enceinte. Ça ne pouvait être que de toi. Je suis restée seule pendant toute ma grossesse, j’ai accouché seule à la clinique et je l’ai déclarée comme Véronique Bonnard dans un premier temps. Et puis, quelques mois après, j’ai rencontré Gino Marino. Il était directeur dans un grand groupe international, il avait de l’argent et il était très gentil. Il m’a acceptée avec mon enfant et il l’a même adoptée officiellement. C’est pour ça qu’elle s’appelle Marino. Tu vois, j’ai un faible pour les Italiens, plaisante-t-elle avec un sourire.

¾    Mais pourquoi ne me l’as-tu pas dit ? demande Mario, blanc comme un linge.

¾    Mais parce que tu m’avais quittée. Je n’allais pas te raccrocher parce que tu allais être père, tu serais revenu uniquement pour l’enfant et pas pour moi. Et encore, va savoir combien de temps ça aurait duré, dit-elle désabusée.

¾    Moi qui ai toujours rêvé d’avoir une fille. Quelle histoire manquée ! Vraiment, je n’en reviens pas. Mais pourquoi me parles-tu d’elle maintenant ?

¾    Mais parce qu’elle m’a parlé de toi et de tes petits cadeaux, tes bises, tes attentions. Je te connais, je sais ta manière de procéder pour arriver à tes fins avec une femme. Elle te trouve super, comme elle dit. Mais elle est jeune et naïve, elle ne te voit pas venir. Alors j’ai eu peur que vous ne fassiez des bêtises ensemble, sans le savoir. Je préfère te prévenir.

¾    Et elle, tu l’as mise au courant ? s’enquiert Mario.

¾    Non, elle ne sait rien. Elle ne sait même pas que Gino n’est pas son père.

¾    Tu devrais quand même lui dire.

¾    Non, j’ai juré à Gino, sur son lit de mort, de ne rien lui dire. En tout cas, pour le moment, tu prends tes distances avec elle, s’il te plaît.

¾    Bien sûr, j’aime les femmes, mais tu sais que je suis incapable de faire une chose pareille.

¾    Oui, je sais. C’est pour ça que je voulais te mettre en garde. Tu ne lui parles de rien, insiste Jeanne. À part ça, tu as monté ta boîte, ça y est, tu y es arrivé, constate-t-elle pour changer de conversation.

¾    Oui, ça n’allait plus du tout dans la boîte précédente. Je me suis fait licencier et avec l’indemnité, j’ai monté Tech Log, qui marche le feu de Dieu.

¾    Et sentimentalement, juste par curiosité, tu en es où ?

¾    Je me suis remarié, il y a un peu plus d’un an, avec mon adjointe parce que j’ai un fils d'elle, Antoine. Enfin, elle était standardiste et on a engagé Véronique pour qu’elle puisse devenir mon adjointe. Mais je ne sais pas si j’aurais dû aller jusque là. Tu me connais, on ne se refait pas.

¾    Oui, il te faut toujours tout.

¾    Oui, mais maintenant, déjà, ça ne va pas fort dans notre couple. C’est un peu pour ça que je me suis mis à regarder Véronique. Il faut dire qu’elle est tellement ravissante. Elle te ressemble non ? Maintenant que je te vois, je lui trouve une ressemblance avec toi quand je t’ai connue, qui ne m’avait pas frappé du premier coup.

¾    Oui, c’est ce que tout le monde dit. Mais elle a tes expressions aussi. Moi je les remarque toujours.

¾    Tu ne m’as pas oublié, alors ? s’attendrit Mario, tout à coup.

¾    Non, on ne peut pas oublier un homme qu’on a autant aimé et à qui on a donné huit ans de sa vie. Et puis, comme je te le dis, avec Véronique, je ne pouvais pas t’oublier. Enfin, Gino a été d’une grande générosité. Il avait beaucoup d’argent, il m’a tout laissé et tout sera pour elle à ma mort. Je vis bien. Nous sommes maintenant à l’abri du besoin. Fini la vache enragée que nous avons connue tous les deux.

¾    Tu sais, j’aurais peut-être eu le même parcours professionnel si nous étions restés ensemble et j’en serais moi aussi au même point maintenant, et c’est toi qui en profiterais.

¾    Oui, peut-être. Enfin, on ne refait pas l’Histoire, n’est-ce pas. Laissons les choses comme elles sont. Ce qui est fait est fait. Allez, porte-toi bien et adieu.

¾    Pourquoi adieu ? On pourrait se revoir si tu le souhaites.

¾    Non, non, ce n’est pas la peine. Ça m’a fait plaisir de te revoir, dit Jeanne voyant où veut en venir Mario.

¾    Comme tu voudras, se résigne-t-il.

En rentrant au bureau, cette après-midi-là, Mario regarde Véronique d’un autre oeil. Il la trouve vraiment charmante et, oubliant son attirance physique, il ressent de la fierté d’avoir une fille aussi jolie et gentille, et de la tendresse aussi. Maintenant, il va la couver et gare à celui qui en dirait du mal ou se moquerait de sa naïveté. Il a besoin quand même d’en parler à quelqu’un.

¾    Aline, il faut que je vous dise quelque chose de particulièrement confidentiel, commence-t-il en entrant dans le bureau de son assistante et fermant la porte.

¾    Oui, je vous écoute ?

¾    Je viens de déjeuner avec ma première femme, que j’ai quittée il y a vingt ans. Elle m’a appris quelque chose d’incroyable. Véronique est ma fille.

¾    Véronique Marino ? Notre standardiste ? s’étonne Aline.

¾    Oui, notre standardiste. Moi qui avais des vues sur elle, dit-il le regard un peu perdu dans le rêve.

¾    Oui, j’avais remarqué, et pas seulement moi.

¾    Pourtant, je faisais intervenir Laurent pour justement brouiller les pistes.

¾    Excusez-moi de vous dire que vous êtes bien naïf si vous croyez que personne ne le sait.

¾    Ah bon ? s’étonne-t-il

¾    Ça se voit comme le nez au milieu de la figure.

¾    Zut alors, moi qui voulais être discret.

¾    Qu’est-ce que vous allez faire maintenant ?

¾    Je ne sais pas. C’est aussi pour ça que je voulais vous parler. J’ai besoin d’un bon conseil.    

Jusqu’à présent, je lui ai fait des petits cadeaux et de petites attentions. Si j’arrête tout maintenant, elle va se poser des questions. Sa mère ne veut pas que je le lui dise. J’avoue que je ne sais plus quelle attitude adopter. Il est sûr que depuis que je sais ça, je la regarde autrement.

¾    Puisque vous me demandez mon avis, je pense que, dans ces conditions, il faut continuer à lui faire quelques gentillesses, mais sans plus. Vous pouvez continuer à lui offrir des fleurs en prétextant que c’est pour l’accueil, par exemple. Vous ne pouvez pas changer radicalement d’attitude d’un seul coup. N’en rajoutez pas, c’est tout.

¾    Bon, d’accord, je vais faire comme ça, dit Mario en sortant. Merci du conseil.



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