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Les romans de Melwija
28 septembre 2009

LES AMBITIEUX (Parution 3/14)

LES AMBITIEUX

Parution n°3/14

Rappel des faits antérieurs : Mario Spanelli est enfin parti de la Sebmo avec une assez grosse somme d'argent, lui permettant d'envisager de fonder sa propre société. Bertrand Valaire a été nommé à sa place et ses prestations tant auprès de l'équipe que de son patron Jacques Gerbier, sont désastreuses.

Les trois vendeurs Jérôme Pradier, François Marrois et Alain Gestaing sont aussi prêts à quitter la société et font ce qu'il faut pour se faire licencier.



¾    Monsieur Crozier, je suis vraiment désolé d’avoir à vous reparler de ce genre de problème, commence Jacques Gerbier qui a demandé un entretien avec le PDG.

¾    Ne me dites pas que Spanelli vous cause encore des soucis. Il n’est plus là.

¾    Oui, mais justement. Même plus là, indirectement, il m’en cause encore. Je m’explique. Il paraît qu’il est en train de monter sa propre boîte et il aurait demandé à trois des vendeurs de son ex-service, de le rejoindre. Mais ils ne disent pas qu’ils vont donner leur démission. De plus, ils observent la même grève du zèle que Spanelli avait observée avec moi, avec leur nouveau chef, Bertrand Valaire. Donc, je me rends bien compte qu’il continue à les piloter de loin et à pourrir la vie du service.

¾    Il a le diable au corps, votre Spanelli, s’exclame Crozier. Ils ne veulent pas donner leur démission, vos gaillards ? On pourrait les y pousser, peut-être ?

¾    Non, justement, ils s'en gardent bien. Je pense en fait comprendre leur stratagème. Ils veulent nous rendre la vie impossible comme Spanelli l’a déjà fait, avec l’idée qu’on va les licencier pour avoir la paix.

¾    Vous pensez vraiment ça ? Et votre Valaire, il tient la route ?

¾    Ben… euh… pour le moment, il ne les connaît pas encore bien, alors il a un peu de mal avec eux, bredouille Jacques qui n’ose pas avouer à Crozier qu’il s’est un peu emballé avec celui-là et qu’il regrette de l’avoir pris, pressé qu’il était d’avoir une solution de rechange pour se débarrasser de Mario au plus vite.

¾    Oui, enfin, vous voulez dire qu’il ne fait pas l’affaire, dit Richard Crozier avec perspicacité.

¾    Il faut lui laisser un peu de temps, comme il n’a jamais commandé, il a un peu de mal. Et puis, ceux-là, habitués comme ils étaient avec Spanelli, ce n’est pas du gâteau, explique Jacques, un peu gêné.

¾    Bon, alors, qu’est-ce qu’on fait ? Vous voulez quoi au juste ? s’impatiente un peu le patron.

¾    Si on veut rétablir un peu de sérénité dans le service, je pense qu’il faudrait les licencier. Tant pis. Au moins, ça nous permettra de recruter de nouveaux éléments qui n’auront pas connu Spanelli. Les deux qui restent seront noyés et obligés de rentrer dans le rang. Et puis ça facilitera un peu le travail de Valaire, je pense, expose Jacques qui est très fort pour trouver une justification à tout, quand ça l’arrange.

¾    Et, ça va encore nous coûter combien ?

¾    Eh bien, voilà ! dit Jacques en tendant un tableau à Richard Crozier. Vous avez là les salaires actuels, les dates d’arrivée, les primes de licenciement qu’on pourrait leur proposer et, en face, les salaires qu’on pourrait proposer aux nouveaux. Actuellement, comme vous pouvez le voir, ils gagnent deux mille cinq cents francs de fixe, comme tout le monde dans la société, mais le pourcentage sur les ordinateurs est de quatorze pour cent, c’est énorme. Vous savez bien que dans les autres services il n’est que de dix. On pourrait donc en profiter pour ramener le pourcentage des nouveaux à dix. On ne laisserait les quatorze pour cent qu’aux deux anciens qui restent, Daniel Garnier et Robert Servin.

¾    Bon, mais les trois qui partent, leur préavis, il faut qu’ils le fassent, ça nous coûtera moins cher.

¾    Si je peux me permettre, Monsieur, je ne souhaite pas qu’ils le fassent. En effet, ils ont trois mois et pendant ce temps-là, ils ne vont plus rien faire pour nous, nous faire des notes de frais faramineuses et donner à Spanelli tous les renseignements qu’ils voudront, en toute impunité. Dans ces métiers, il vaut mieux que le vendeur s’en aille tout de suite quand la décision est prise, sinon il risque de faire des dégâts. Et ceux-là, ne vont pas s’en priver.

¾    Allez, vous avez raison, tant pis. Une fois que ce sera fait, nous serons tranquilles.

¾    Oui, Monsieur, je l’espère vivement. C’est pour ça que je suis venu vous demander ça.

¾    Bon, on est mi-avril, pour la fin du mois, ça va ?

¾    Oui, Monsieur, pour la fin du mois.

¾    Bon, je signe mon accord sur votre tableau, vous pouvez faire établir les chèques avec ça.

¾    Et s’ils discutent encore la prime ? Avec eux, il faut s’attendre à tout, ils ont été à bonne école, s’inquiète soudain Jacques.

¾    Ah non ! Ça va pas recommencer. Eux, ils recevront ce qu’on leur donnera. Bon, allez, je veux bien que vous discutiez avec eux et que vous leur donniez dix pour cent de plus, quinze à tout casser, mais c’est tout. Je vous laisse vous occuper de ça.

¾    Oui, Monsieur, bien sûr. Je vous remercie beaucoup, dit Jacques en se retirant.

En rentrant dans son bureau, Jacques appelle Bertrand pour lui annoncer la décision qui vient d’être prise.

¾    Bon, je viens de voir Richard Crozier, nous sommes d’accord pour que tu te débarrasses des éléments gênants de ton service, à savoir Marrois, Pradier et Gestaing.

¾    Mais comment ça, m’en débarrasser ? demande Bertrand tombant des nues.

¾    Nous avons pris la décision de les licencier tous les trois.

¾    Mais pourquoi ? persiste Bertrand à ne rien comprendre.

¾    Mais parce qu’ils vont rejoindre Spanelli dans sa nouvelle boîte. Tu n’as pas encore compris leur manège ? Pourquoi crois-tu qu’ils viennent dans ton bureau à tout bout de champ, qu’ils t’empêchent de travailler ? Exactement comme Spanelli a fait avec moi.

¾    Ah bon ! Tu crois ? S'étonne Bertrand. Mais j’aurais pu les reprendre, affirme-t-il avec conviction.

¾    Mais non, tu n’aurais pas pu. Ils veulent partir avec Spanelli, c’est tout ce qui les intéresse. De plus, si on les laisse trop longtemps mariner, ils vont lui donner des tuyaux sur nous et nos affaires en cours, ils ne vont plus rien faire pour Sebmo et te faire payer des notes de frais catastrophiques, mais toujours très justifiées. Crois-moi, je sais comment ça se passe.

¾    Eh bien ! Dans ce cas-là, on les licencie sans indemnité.

¾    Non, ce n’est pas possible, il n’y a pas faute professionnelle. Ils nous attaqueraient aux Prud’hommes et ça nous coûterait deux fois plus cher. Ecoute, commence à s’énerver Jacques, je vais m’occuper de cette affaire. Je te le dis pour que tu sois au courant et que ça concerne ton service, mais je vais m’en occuper moi-même, d’accord ?

¾    Oui… d’accord, répond Bertrand qui craint de mettre son chef en colère. Mais moi, comment je vais faire pour atteindre les objectifs avec seulement deux vendeurs ? s’inquiète-t-il soudain en semblant enfin comprendre ce qui se passe.

¾    Ne t’en fais pas, tu vas en embaucher trois autres toi-même et tu leur donneras un peu moins de pourcentage sur les ventes. Mais on en reparlera quand tout ça sera fini. Et puis, je vais réduire un petit peu les objectifs mensuels pour que tu puisses te retourner, concède Jacques pour lui redonner courage.

¾    Bon, entendu comme ça, accepte Bertrand, tout déconcerté.

¾    Muriel, demandez à Madame Rousselot lequel des ces trois-là est présent et dites-lui de me l’envoyer, dit Jacques en posant la liste des trois noms concernés sur le bureau de son assistante.

¾    Bien, Monsieur.

¾    Bonjour Monsieur Pradier, asseyez-vous, dit Jacques en voyant arriver Jérôme dans son bureau. Voilà, je sais très bien que Mario Spanelli est parti pour monter une société concurrente et qu’il vous a fait des avances pour le rejoindre.

¾    Eh bien ! Vous en savez plus que moi, ment Jérôme.

¾    Ne mentez pas. Vous savez très bien que c’est vrai. De toute façon, rassurez-vous, je ne vous ai pas fait venir pour vous le reprocher, mais pour vous en donner l’occasion, ajoute Jacques devant les yeux étonnés de Jérôme. Nous avons pris, la Direction et moi, la décision de vous licencier, laisse-t-il tomber.

¾    Ah bon ? s’étonne faussement Jérôme très content de cette annonce.

¾    Ça vous ennuie peut-être ? ironise Jacques.

¾    Non, non, si vous voulez, je n’y vois pas d’inconvénient, mais tout dépend du montant de la prime que vous m’allouez. Je suppose qu’il y a une prime, que ce n’est pas un licenciement sans indemnité. Je ne vois pas où il aurait faute grave, se défend d’avance Jérôme.

¾    Mais il n’est pas question de ça, bien entendu qu’il n’y a pas faute grave. Vous avez très bien manœuvré pour que, justement il n’y ait rien à vous reprocher sérieusement. Je sais que vous avez été à bonne école avec Spanelli, je connais toutes vos ficelles, mais c’est bien joué, je dois le reconnaître, dit Jacques avec l’air de celui à qui on ne la fait pas.

¾    Si vous le dites, répond Jérôme un peu étonné de la tournure de la conversation.

¾    Bon, alors, je vous propose quarante-mille francs, expose Jacques.

¾    Vous rigolez ? C’est une plaisanterie, s’indigne Jérôme. À moins de cent mille je ne pars pas.

¾    Non, cent-mille, vous ne les aurez jamais. Disons cinquante ?

¾    Non, au moins quatre-vingts.

¾    Bon, soixante, c’est mon dernier mot. Je ne peux pas aller au-delà. Ça fait déjà trente-trois pour cent, c’est une augmentation énorme à laquelle je ne suis pas censé avoir droit. Vous ne pourrez pas obtenir plus. Je vous laisse réfléchir, si vous voulez, mais pour cinq ans de présence, soixante-mille francs, c’est pas mal, vous vous en tirez bien.

¾    Et si j’accepte, je peux partir quand ?

¾    Tout de suite. Vous recevrez vos trois mois de préavis, plus les congés, et cetera. Le mois en cours vous sera payé intégralement, avec vos ventes jusqu’à ce jour. De toute façon, nous avons décidé de vous licencier, nous ne vous garderons pas, même si vous n’êtes pas d’accord sur la prime, ajoute Jacques pour couper cours aux manœuvres de Jérôme.

¾    Bon, d’accord, à soixante-mille, j’accepte, finit-il par conclure.

¾    Très bien, nous sommes d’accord. Vos deux compères sont là ?

¾    Quels compères ? fait semblant de ne pas comprendre Jérôme.

¾    Vous savez très bien de qui je veux parler. Ils sont là, oui ou non ? insiste Jacques.

¾    Oui, je crois.

¾    Alors envoyez-m’en un des deux. Allez, au revoir. Vous recevrez un courrier pour vous donner les modalités de votre départ.

¾    Bien, au revoir, dit Jérôme un peu surpris de l’attitude de Jacques.

¾    Dis donc François, il faut que tu ailles voir Gerbier. Ou toi Alain, comme vous voudrez, mais il faut que l’un des deux y aille. Je vous préviens, il sait tout. Je ne sais pas si on lui a dit ou s’il l’a trouvé tout seul, mais il est au courant de tout. Il nous licencie et il sait que nous allons rejoindre Mario.

¾    Ah bon ? s’étonnent les deux vendeurs en chœur. Et combien t’as eu d'indemnité ? demande Alain, un peu inquiet de son propre sort.

¾    Soixante-mille. Je lui ai demandé cent, mais il n’a rien voulu savoir. Il avait un tableau devant lui, il a déjà fait tous les calculs et sait d’avance ce qu’il veut nous donner. Il doit avoir une marge de manœuvre, mais c’est tout, on n’obtiendra pas beaucoup plus. Enfin vous si, parce que vous êtes plus anciens, mais moi, avec mes cinq ans, je n’ai eu que ça.

¾    Bon, j’y vais, dit Alain, on verra bien.

¾    Bonjour Monsieur Gestaing, asseyez-vous. Comme vous venez de voir votre camarade Pradier, je suppose que vous savez pourquoi je vous ai fait demander, expose Jacques très décontracté.

¾    Oui, bien entendu. Je pense que nous n’avons rien de plus à vous apprendre.

¾    En effet. Donc allons au but directement. Vous avez dix ans de présence, je vous propose donc soixante-dix mille francs d’indemnité de licenciement. Vous partez tout de suite, enfin à la fin du mois, on vous paie votre préavis, vos congés et le mois en cours avec les ventes que vous avez faites, bien entendu, débite Jacques pour en finir rapidement.

¾    Soixante-dix mille, c’est un peu juste. Cent-mille serait plus approprié.

¾    Bon, je vois que vous vous êtes donné le mot. Je m’en doutais. Vous n’aurez pas cette somme. La Direction ne le veut pas. Je peux augmenter à quatre-vingts. C’est tout ce que je peux faire. De toute façon notre intention est de vous licencier, avec la prime prévue. À votre place j’accepterais tout de suite pour en finir en m’en tirant assez bien.

¾    Si je comprends bien, je n’ai rien à dire.

¾    En principe non. Vous avez quelque chose à dire de spécial ? Vous partez rejoindre Spanelli, il vaut mieux que vous y alliez tout de suite. Si on vous gardait, vous joueriez double jeu. C’est normal, c’est humain. Je sais très bien comment ça se passe. Alors il est préférable que vous partiez avec cette somme, c’est le mieux qui puisse vous arriver pour le moment.

¾    Bon, dans ce cas, se résigne Alain.

¾    Le Service du Personnel vous préviendra pour les modalités de votre départ imminent.

¾    Bien au revoir Monsieur, dit tristement Alain.

¾    Au revoir. Envoyez-moi Monsieur Marrois, s’il vous plaît.

¾    Oui, Monsieur.

¾    Alors, combien t’as eu ? demandent les deux autres très intéressés.

¾    Quatre-vingts. Je suis depuis plus longtemps que toi ici, mais je gagne moins, je crois.

¾    Bon enfin, il faut faire avec. À toi, François, il t’attend.

¾    Alors, combien t’as eu, réitèrent les deux collègues au retour de François de chez Jacques Gerbier.

¾    Cent-mille. Mais moi, il y a quinze ans que je suis là.

¾    Bon, eh bien voilà ! On a gagné, disent les trois amis en se frappant mutuellement la paume de la main en guise de signe de victoire.

¾    Oui, Mario va être content, je pense, quand on va lui dire ça ce soir.



¾    C’est pas mal, les gars. Vous avez bien travaillé, félicite Mario dans son petit bureau de l’hôtel Forest Hill. Alors, vous êtes libres quand ? À la fin du mois de juin ?

¾    Oui, dans une semaine. Mais, le problème, c’est qu’il y a les vacances, objecte Alain. Elles sont retenues depuis plusieurs mois, je ne peux pas faire ça à Monique.

¾    Oui, renchérit Jérôme. Malgré tout, on doit partir en Espagne avec Virginie et Jérémie, tout est retenu aussi. Elle attend ça avec impatience.

¾    Bon, vous partez en juillet ou en août ?

¾    En août, répondent-ils en chœur.

¾    Bon ça va, il y a encore tout juillet. Vous partez longtemps ?

¾    Trois semaines.

¾    Bien, en attendant, on peut travailler. Et toi François ?

¾    Oh, moi ! Je devais aller chez mes beaux-parents, dans l’Hérault. Mais Colette peut y aller toute seule s’il faut.

¾    Eh bien ! Voilà déjà une organisation mise en place, constate Mario avec satisfaction. Par ailleurs, si je fais le calcul de nos mises dans la société et des parts qui vous reviennent, voilà comment ça se présente. À nous quatre, nous avons un capital de cinq cent quarante mille francs. Dans un premier temps, on va prendre quarante mille francs de frais de fonctionnement. Ça revient à ce que vous donniez dix mille francs chacun sur votre prime. Restent cinq cent mille francs au total. Je suppose que vous avez l’intention de mettre la totalité de votre prime dans le capital, s’inquiète-t-il tout-à-coup.

¾    Oui, oui, c’était entendu comme ça.

¾    Très bien. Moi, bien sûr, je suis le patron et majoritaire, puisque je représente cinquante-huit pour cent du capital. François avec ses quatre-vingt-dix mille, représente dix-huit pour cent, Alain quatorze, et Jérôme dix. Voilà, pour le moment, le résultat des courses.

¾    Et comme salaire qu’est-ce qu’on a ?

¾    Pour le moment rien. Vous devrez vivre aux mois de juillet et d’août avec ce que vous allez toucher de vos préavis et de vos congés. Faites attention, ne gaspillez pas, dit Mario en regardant plus précisément Jérôme. On verra au mois de septembre, à vous payer. On va partir sur un salaire fixe de douze-mille francs chacun, moi y compris. Vous voyez, je fais aussi un gros effort. À vous de faire de même.

Chacun regarde devant lui un peu ennuyé. Ils commencent à se dire que ça va être un peu plus difficile que prévu. Mais ils sont persuadés que Mario ne fera jamais faillite, qu’il saura toujours les préserver de tout. Alors, ils sont prêts à faire quelques sacrifices en se disant que c’est pour la bonne cause. Après tout, maintenant, tout ce qu’ils gagneront sera pour eux.

Mais ils n’ont pas une mentalité de patron. Ils ont toujours été employés, surtout les plus âgés. Ils sont habitués à ce qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire, à rendre des comptes, à avoir peur de se faire réprimander. Ils ne réalisent pas qu’ils sont maintenant leurs propres maîtres. Bien sûr, ils devront compter avec Mario, mais ils n’ont pas encore bien compris que s’il est toujours le patron, il est bien content d’avoir cent quarante mille francs de plus dans son capital pour pouvoir démarrer.

¾    Au fait, comment on va s’appeler ? demande soudain Jérôme.

¾    J’ai pensé à "Tech Log", pour technique et logiciels. J’attends le résultat de la demande d’antériorité, mais je pense qu’il n’y a pas de problème.

¾    Tech Log, oui, ça sonne bien, acquiescent les trois autres.

¾    Bon, depuis que je suis parti de Sebmo, j’ai travaillé. J’ai contacté les Américains. Il faut qu’on y aille, déclare Mario en regardant Jérôme.

¾    Finalement, qu’est-ce qu’on va vendre au juste ?

¾    Des ordinateurs Foster One, avec des logiciels Logicword. On va aller voir Peter Foster à Miami et Eddy Partigo à New-York. J’ai pris les billets, on part dans huit jours.



Le voyage aux Etats-Unis s’était très bien passé. Mario et Jérôme, retrouvés une fois de plus en liberté, en avaient bien profité. Bien sûr, pour trois ou quatre jours de travail effectif, ils étaient partis une semaine, pour avoir les réductions d’usage sur les billets d’avion et le séjour dans les hôtels.

Ils avaient joué au golf à Miami, en descendant à l’hôtel Doral qui ne comporte pas moins de six golfs dix-huit trous sur sa propriété. Ils étaient allés à Broadway à New-York, quand ils avaient visité Logicword dont les bureaux somptueux étaient situés au soixante-dix huitième étage de celle des Twin Towers accessible aux visiteurs. Dans le grand hall de marbre, de verre et d’acier, on prenait un des six ascenseurs particuliers, au fond du hall, pour monter dans les bureaux. On laissait ceux du devant aux touristes qui faisaient la queue pour monter au cent-septième, voir New-York comme s’ils étaient en hélicoptère au-dessus de la ville.

Mario avait plusieurs fois mis la main à sa poche personnelle, pour payer quelques distractions comme le golf, le théâtre ou les excursions dans les Keys. Mais ils en avaient bien profité. Ils étaient aussi allés voir quelques filles, au passage, pour se faire du bien.

Même Jérôme. Ça ne le gênait pas beaucoup de tromper sa femme. Il en avait même l’habitude et pensait que Virginie aussi en avait l’habitude. Il se demandait parfois comment et pourquoi il l’avait épousée, lui le flambeur, le noceur, qui avait tant besoin de changement dans ses amours, enfin, si on peut employer ce mot. Mais Virginie lui avait fait le coup de l’enfant. Elle avait voulu le garder. Et, bien que fêtard et égoïste, Jérôme avait encore quelques principes de fond. On n’abandonne pas une femme enceinte. Alors maintenant, il avait femme et enfant, qui restaient souvent seuls. Virginie savait que son mari la trompait et commençait quand même à en avoir assez, depuis cinq ans qu’ils étaient mariés et que ça n’arrêtait pas. Si elle n’était pas si amoureuse de lui, il y a longtemps qu’elle l’aurait quitté. Mais elle ne pouvait envisager sa vie loin de lui.

Enfin, Mario et Jérôme étaient rentrés. Pendant ce temps-là, Alain et François avaient été chargés de chercher un local, à Vélizy ou autour, pour s’installer convenablement. Et ils l'avaient trouvé, dans un petit immeuble de l’avenue de l’Europe, du côté du centre commercial, au rez-de-chaussée.

Il y avait six pièces, c’était tout ce qui leur fallait. Il y aura un bureau pour le patron, avec un petit à côté pour la secrétaire quand elle viendra. Puis une salle pour les vendeurs, une pour le technicien, genre atelier, une salle de démonstration des machines et des logiciels, et puis une entrée avec un standard. C’était l’idéal, pour un prix raisonnable, tout neuf, avec possibilité d’extension éventuelle au premier étage et parking autour de l’immeuble.

Mario l’avait visité en rentrant, et avait tout de suite signé le bail. Ils avaient choisi un logo, T et L, agencés de façon très moderne, rouges bordés de gris. Ils avaient fait faire un panneau qu’ils avaient accroché fièrement au-dessus de la porte d’entrée. Ils avaient dû acheter des meubles aussi, le moins cher possible mais modernes et fonctionnels.

Tout ça avait été fait en un temps record. Pendant l’absence de Mario, Alain et François avaient aussi démarché quelques clients potentiels. Dans ces années 80, l’équipement informatique des bureaux bat son plein. Ça a commencé par les notaires et les avocats, voyant dans le traitement de texte, qui était leur fonds de commerce, un moyen d’augmenter leur efficacité.

C’est sûr que c’est le bon moment pour monter ce genre d’activité. D’ailleurs, Sebmo ne s’y était pas trompé en créant, quelques années auparavant, un service d’équipement informatique des bureaux. C’était un secteur porteur, comme on dit.

Durant toute l’année 86, le chiffre d’affaires augmente chaque mois. La banque, réticente au début, implore Mario d’emprunter de l’argent chez elle. Mais chaque fois qu’il se présente au directeur du Crédit Lyonnais du centre commercial, c’est pour déposer un gros chèque et non pour emprunter.

Un an après leurs débuts, ils décident d’augmenter leurs salaires à quinze mille francs chacun. Pour tout le monde, sauf pour Mario, ça représente plus qu’ils ne gagnaient à Sebmo.

Maintenant que la société semble vraiment lancée, Mario a embauché Aline Rousselot, son ancienne assistante, après que, comme prévu, elle ait donné sa démission de Sebmo.

Au début, elle s’est installée dans l’entrée, pour faire aussi hôtesse et standardiste. Ils ne sont que cinq, ça ne représente pas trop de travail. Mais bientôt, il faudra embaucher du monde et tout d’abord une standardiste, pour qu’elle puisse prendre enfin son bureau d’assistante de PDG et y travailler à temps plein. Elle aimerait bien qu’il y ait une autre femme dans la société. Toute seule, elle doit s’occuper aussi bien des bilans de fin de mois et des commandes, que d’acheter du papier toilette. Et puis elle n’a personne avec qui bavarder d’affaires de filles, quand elle prend un café ou pendant les repas, au centre commercial, avec les tickets restaurants.

Début 1987, il est devenu nécessaire d’embaucher un technicien supplémentaire, François va chercher Félix Gentil, dans leur ancien Service d’Equipement Informatique à Sebmo. Jacques Gerbier commence à voir que Mario lui prend tous les meilleurs éléments de son service et se demande s’il a bien fait de lui faciliter la tâche.



Les affaires de Tech Log crèvent le plafond. Mario sait y faire pour placer sa société et prendre sa part du marché. Il est en procès avec Sebmo, qui lui reproche de lui faire de la concurrence déloyale et de vider la société de sa "substantifique moelle". Ce n’est pas très gentil pour ceux qui y sont restés, mais les avocats s’en débrouillent.

Ce procès fera long feu et rien n’en ressortira. Sebmo finira même par retirer sa plainte, au grand dépit de Mario qui pensait pouvoir faire ses choux gras de leur défaite inévitable.

Mais maintenant, il faut à tout prix s’agrandir. Ils travaillent tous environ soixante-dix heures par semaine, c’est un peu trop et ils commencent à fatiguer. Ça ne peut plus durer.

Il faut des vendeurs. On en trouve encore à Sebmo, Francis Brossard, par exemple. Ou bien en passant une petite annonce, Julien Travers.

À présent qu’il y a plus de monde, il devient urgent de trouver une standardiste. Encore par petite annonce, Mario embauche, avec l’aide d’Aline, Brigitte Leroy.

Elle a vingt-huit ans, mariée à Christophe Leroy, Chef de Groupe à EDF, un enfant de cinq ans, Clément. Elle est ravissante, grande, mince, beaucoup de classe et de charme, cheveux blond cendré, longs, coupés en dégradé autour du visage, yeux bleus et sourire éclatant. Tirée à quatre épingles, s’habillant avec goût, parfaite hôtesse, intelligente et très ambitieuse.

Elle était secrétaire, hôtesse d’accueil et standardiste dans une petite concession automobile où son père travaillait, dont elle a été licenciée pour cause de réduction de personnel. Elle a son baccalauréat, mais aucun diplôme professionnel. Elle a tout appris sur le tas. C’est pourquoi elle a eu un peu de mal à trouver un emploi d’assistante comme elle le souhaite. En désespoir de cause, elle accepte un poste d’hôtesse-standardiste, parce qu'il devient urgent qu'elle aille travailler. Elle n'est pas une femme d'intérieur et tient à son autonomie.

Mais elle est tellement ambitieuse et prête à tout pour réussir, qu’elle se dit, à juste titre, qu’en entrant dans une jeune société appelée à se développer, elle a peut-être un avenir.



Brigitte Leroy a connu son mari lors d’une mission d’intérim à EDF, en 1979. Il n’était pas marié, et il est tombé immédiatement amoureux de cette superbe fille. Elle avait alors vingt et un ans, lui en avait trente. Très beau garçon lui aussi, mais réservé, même un peu renfermé, il n’avait pas eu beaucoup d’aventures. Ils formaient un couple de rêve.

Elle avait tout de suite accepté les avances timides de Christophe, non seulement parce qu’il était beau, mais parce qu’il était ingénieur et avait un bon salaire.

Comme il était célibataire, elle croyait qu’il avait la vie facile. Ça faisait rêver Brigitte Pasquier. Ses parents, Pierre et Simone, étaient des gens simples, honnêtes et travailleurs.

Pierre était mécanicien dans la concession automobile où Brigitte avait commencé sa carrière. C’est lui qui l’avait fait entrer là, quand, lassée de l’intérim, elle avait voulu avoir un poste fixe.

Simone était assistante maternelle dans la petite école de la rue au-dessus de chez eux, à Conflans-St-Honorine, où ils habitaient. Ils avaient réussi à acheter, dix ans auparavant, une jolie petite maison sur la colline longeant la Seine, à laquelle on accédait par des petites venelles et des escaliers qui n’en finissaient pas. Mais ils avaient, depuis les chambres, une vue dégagée sur le fleuve et bénéficiaient d’une petite cour où il faisait bon déjeuner l’été.

Alors, être la maîtresse d’un ingénieur EDF, c’est pour Brigitte une promotion sociale qu’il est difficile de refuser. Quand, de plus, l’ingénieur en question est plutôt bien de sa personne, ça ne se discute même pas.

Pierre et Simone n’avaient pas été très heureux de cette idylle, ils trouvaient Christophe trop vieux pour leur fille, neuf ans de plus tout de même, et puis surtout, ils voulaient qu’elle se marie, pas qu’elle soit sa maîtresse. Ils avaient peur que ce ne soit qu’une petite amourette. Ils s’inquiétaient pour elle. De plus, Brigitte était allée s’installer avec lui, dans l’appartement qu’il avait acheté Avenue de la Reine, à Boulogne-Billancourt. Simone avait pleuré longuement à l’idée que sa fille unique quittait la maison, et même pas pour se marier. C’était presque pour elle un déshonneur. Pierre, un peu plus au courant des nouveaux usages chez les jeunes, avait essayé de la rassurer en minimisant et banalisant un peu le départ de sa fille, qu’il regrettait pourtant tout autant que sa femme. Il essayait de faire contre mauvaise fortune bon cœur.

Mais Christophe s’était montré très gentil et courtois avec les Pasquier. Chaque fois qu’il venait les voir, il apportait des fleurs à Simone, qui n’en avait jamais autant reçu. Il ne manquait pas non plus un petit cadeau à Noël.

Au bout d’un an environ de vie commune, Brigitte était tombée enceinte. En fait, ils ne l’avaient pas fait exprès. Elle avait oublié sa pilule le soir où il ne fallait pas et puis voilà, c’était arrivé. Sur le moment, elle avait voulu avorter. Mais Christophe, qui était toujours très amoureux d’elle, voyait dans cette naissance à venir l’occasion de régulariser leur situation, de fonder un vrai foyer. À trente ans passés, maintenant, il ne lui déplaisait pas d’avoir une vie de famille. Sa femme était vraiment ravissante et la grossesse lui allait bien. Ils s’étaient donc mariés, à Conflans, chez les Pasquier, ravis bien sûr de l’arrivée de leur petit-fils mais, surtout, que leur fille se range enfin.

En effet, c’était un joli garçon, prénommé Clément, qui était né fin août 1980. Simone Pasquier était aux anges et Pierre très fier. Toute la famille était heureuse, y compris le couple.

Maintenant, cinq ans après, Christophe est devenu Chef de Groupe s’occupant de développement durable à la Recherche d’EDF, à Chatou. Il est le type même du fonctionnaire de haut niveau.  Il a un très bon métier, sur les rails pour quarante ans. C’est la seule société qu’il ait fréquentée, il ne connaît rien au "privé" et, comme il se doit, le critique fortement.

Il aurait voulu que sa femme entre aussi à EDF, mais cela n’avait pas été possible et puis ça ne lui disait rien, à Brigitte, elle supposait qu’elle avait plus de possibilités de gagner de l’argent en dehors de la fonction publique. Personne ne saura jamais si elle avait raison.

Christophe n’est pas vraiment d’accord pour que sa femme travaille, surtout depuis qu’ils ont eu Clément. Il est assez vieux jeu sur ce point. Il est né à Paris en 1950. Son père, Gui Leroy, était imprimeur, artisan chef d’entreprise. Sa mère Colette, avait aidé un peu son père au début, mais très vite, quand elle avait eu Christophe, s’était arrêtée de travailler pour l’élever. Il concevait donc la vie de couple avec enfant sur ce schéma-là.

Enfin, en 1987 on ne pouvait plus vivre comme en 1950. Mais tout de même, ça le chiffonnait un peu de voir sa femme, aussi jolie, sortir de chez lui tous les matins pour aller passer la journée dans une société, où travaillaient surtout des hommes. Ne serait-il pas un peu jaloux, aussi ?

Mais, Brigitte s’en fichait pas mal. Elle voulait réussir, pour se valoriser, mais aussi pour gagner son indépendance et avoir encore plus d’argent. Elle ne se voyait pas du tout rester mère au foyer, ce n’était même pas envisageable. D’ailleurs, tout en aimant son enfant, elle regrettait de l’avoir eu si jeune. Elle s’en voulait d’avoir oublié cette maudite pilule. Alors, il n’était pas question de rester chez soi. Et puis, maintenant que Clément était à l’école, que pourrait-elle bien faire, toute seule, dans ses casseroles ? Non, vraiment, elle ne s’y voit pas.



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Commentaires
Les romans de Melwija
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